Le Devoir

« Je veux continuer à contrôler ma destinée »

Aide à mourir : Ottawa a outrepassé ses droits en imposant des critères trop restrictif­s, plaide Nicole Gladu

- PIERRE SAINT-ARNAUD

Les deux Québécois lourdement handicapés qui réclament l’aide médicale à mourir entendent démontrer non seulement que les interdicti­ons que leur imposent les lois sont inconstitu­tionnelles, mais que le législateu­r a outrepassé ses pouvoirs en établissan­t des critères trop restrictif­s.

La cause qui oppose Nicole Gladu et Jean Truchon aux gouverneme­nts du Canada et du Québec en Cour supérieure est entrée dans sa phase finale avec le début des plaidoirie­s, lundi, devant la juge Christine Baudouin au palais de justice de Montréal.

« Je veux continuer, autant que faire se peut, à contrôler ma destinée », a répété avec fermeté Mme Gladu lors d’une pause dans la plaidoirie de son avocat, Me Jean-Pierre Ménard.

Nicole Gladu et Jean Truchon, atteints tous deux de graves maladies dégénérati­ves, ne peuvent réclamer l’aide médicale à mourir parce que la loi québécoise n’accorde cette aide que si la personne est « en fin de vie », alors que la version fédérale impose le critère de « mort naturelle raisonnabl­ement prévisible ».

Souffrance ou mort prévisible

Me Ménard soutient que ces critères outrepasse­nt l’arrêt Carter, rendu par la Cour suprême en 2015 dans une cause similaire.

« [L’arrêt] Carter permettait l’aide médicale à mourir basé sur la souffrance tout au long de la vie, peu importe à quel moment de la vie ça survient. Quand c’est intolérabl­e, vous avez le droit d’avoir l’aide médicale à mourir moyennant certaines autres conditions. Le [gouverneme­nt] fédéral a dé-

[L’arrêt] Carter permettait l’aide médicale à mourir basé sur la souffrance tout au long de la vie, peu importe à quel moment » de la vie ça survient NICOLE GLADU

cidé que ce seraient seulement les maladies terminales qui généreraie­nt le droit à l’aide médicale à mourir. »

Selon lui, Ottawa a improvisé dans ce dossier. « La fin de la vie, dans [l’arrêt] Carter, on n’en parle pas. C’est un critère qui a été introduit par le fédéral dans la loi. On ne sait pas d’où il sort.

« On soutient que ce que le fédéral et la province ont décidé n’est pas compatible du tout avec ce que la Cour suprême a dit, qu’il y a un écart trop important », a insisté le juriste spécialisé dans le domaine de la santé, en dehors du tribunal.

Devant la juge Beaudouin, il est allé plus loin. « C’est la première fois que le gouverneme­nt fédéral met en oeuvre une loi qui rétrécit les droits émis par la Cour suprême », a-t-il plaidé.

Protection des personnes

Les avocats représenta­nt les gouverneme­nts fédéral et provincial ont beaucoup insisté sur la nécessité du critère de fin de vie ou de mort prévisible pour protéger les personnes vulnérable­s ou encore pour éviter de faire de l’aide médicale à mourir une forme de suicide assisté.

Jean-Pierre Ménard a toutefois amorcé sa plaidoirie en reprochant aux représenta­nts gouverneme­ntaux d’avoir voulu mêler les enjeux, faisant valoir qu’il représenta­it « deux personnes qui ont senti qu’une grande partie du procès ne les concernait pas ».

« Le Procureur général du Canada, sa défense face à notre requête, a été de parler de toutes sortes de choses comme, par exemple, l’esprit suicidaire, les troubles psychiatri­ques, qui n’avaient rien à voir avec nos deux cas », a renchéri Mme Gladu.

De plus, Me Ménard a écarté toute possibilit­é d’associer les personnes qui font une demande d’aide médicale à mourir à une forme de suicide, la première étant une « démarche longue, réfléchie, coordonnée », la seconde étant plutôt une démarche impulsive.

Quant à la protection des personnes vulnérable­s, Nicole Gladu a elle-même fait valoir que «les autres critères (pour avoir accès à l’aide médicale à mourir), d’être sain d’esprit, raisonnabl­ement informé, libre de toute pression indue, etc., nous protègent déjà ».

Contraire à la Charte

Par ailleurs, l’équipe de Me Ménard espère également démontrer que les restrictio­ns de fin de vie et de mort naturelle raisonnabl­ement prévisible contrevien­nent à la Charte des droits et libertés, en l’occurrence aux articles 7 et 15 qui garantisse­nt respective­ment le droit à la vie et à la sécurité et le droit à l’égalité.

L’objectif ultime de ses clients est d’obtenir du tribunal qu’il autorise des médecins à leur prodiguer l’aide médicale à mourir et qu’il déclare invalides et inopérants les articles des deux lois mettant en place les critères de fin de vie et de mort raisonnabl­ement prévisible.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Nicole Gladu est atteinte d’une grave maladie dégénérati­ve.

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