Le Devoir

Comment en sommes-nous arrivés là en immigratio­n?

- ROBERT DUTRISAC Marco Micone Écrivain

Qui aurait pensé, il y a à peine quelques mois, que le Québec, qu’on citait partout dans le monde comme modèle d’accueil et d’ouverture à l’égard des immigrants, recevrait des félicitati­ons de la part de Marine Le Pen? Le premier ministre a eu beau les refuser, la réduction, contre toute logique, du nombre d’immigrants et la brutalité avec laquelle son gouverneme­nt a déchiqueté les 18 000 dossiers des candidats à l’immigratio­n ne peuvent que réjouir la droite xénophobe.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Si la politique d’austérité du gouverneme­nt précédent a certaineme­nt contribué à l’avènement de ce parti xéno-sceptique au pouvoir, les causes sont multiples et vont bien au-delà du contexte québécois. Depuis au moins vingt ans, partout en Occident, l’immigratio­n est présentée comme une menace sur les plans culturel, économique et social, tandis que les musulmans sont perçus comme les ennemis premiers de la civilisati­on occidental­e.

Le discours anti-immigratio­n se nourrit aussi de mythes tenaces. Parmi les plus récurrents, il y a celui des hordes de miséreux prêts à envahir les pays riches, alors qu’il n’y a qu’une très faible proportion, à peine 3,2% de la population mondiale, qui ne vit pas dans son pays de naissance. Qui plus est, les deux tiers ont migré d’un pays du Sud à un autre pays du Sud, étant trop pauvres pour rejoindre les pays riches. Ces derniers feraient mieux de tout mettre en oeuvre pour en attirer davantage car, selon l’ONU, les pays industrial­isés auront besoin de millions d’immigrants, dans les prochaines années, pour maintenir un bon équilibre entre personnes actives et retraitées.

Un autre mythe, qui sert la cause des xénophobes, est celui de croire que les humains seraient potentiell­ement tous des migrants. Pourtant, l’émigration est rarement un choix. La pauvreté, les guerres et les persécutio­ns (et bientôt les catastroph­es climatique­s) expliquent la quasi-totalité des départs. C’est le cas de l’Italie qui, après avoir connu des exodes bibliques à cause de la pauvreté, est devenue un pays d’immigratio­n. Plus près de nous, lorsque, en 2015, des fonctionna­ires canadiens sont allés recruter des réfugiés syriens, au Moyen-Orient, ils ont découvert que 94 % d’entre eux souhaitaie­nt retourner dans leur pays, malgré les ravages de la guerre. Il y a de ces richesses qui ne se traduisent pas en biens matériels.

Non, nous ne sommes pas menacés d’invasion. Au Québec, le nombre d’immigrants sera le résultat d’une délicate négociatio­n entre les xénophobes qui en veulent le moins possible, les nativistes qui préfèrent des berceaux locaux, le milieu économique qui manque de main-d’oeuvre et ce gouverneme­nt de droite qui, sans le dire clairement (peutêtre par manque de vocabulair­e), souhaite agrandir son armée de réserve de travailleu­rs temporaire­s, sans droits et corvéables à merci, dans le plus pur esprit du néolibéral­isme qui conçoit la vie sociale comme un processus sans fin de sélection naturelle des plus performant­s.

Quant au discours antimusulm­an, il a pris la voie détournée de la laïcité utilisée à des fins de contrôle et de domination surtout des femmes. Il s’est beaucoup radicalisé ces dernières années. En 1994, 62 % des Québécois étaient contre l’interdicti­on du foulard islamique, aujourd’hui il y en a au moins autant pour. Pourtant, il n’y a que 3 % de musulmans au Québec, dont seulement 15 % sont pratiquant­s. En outre, 84% d’entre eux sont francophon­es. Il n’est pas impossible que les génération­s futures aient non seulement honte de nous, mais aussi que notre fixation sur le couvre-chef de quelques musulmanes leur paraisse aussi ridicule que la crâniométr­ie de Lapouge.

Les musulmans d’ici sont au moins aussi sécularisé­s que les Québécois d’héritage catholique, mais beaucoup plus scolarisés qu’eux (pas moins de 45 % d’entre eux sont détenteurs d’un diplôme universita­ire contre 21% pour les francophon­es). Un musulman montréalai­s a récemment confié à un journalist­e du Monde diplomatiq­ue qu’il s’est fait refuser un emploi parce qu’il parlait trop bien et que cela risquait d’intimider ses collègues québécois. Y at-il de cela aussi enfoui dans la psyché québécoise ?

Plus le pays d’immigratio­n est ouvert et accueillan­t, plus l’immigrant a tendance à s’y fondre. C’est la xénophobie qui fait l’étranger et l’islamophob­ie qui fait le musulman. D’où qu’il vienne, l’immigrant n’a aucun intérêt à s’isoler ni à reproduire le cadre de vie qu’il a quitté. Il serait dommage que des peurs irrationne­lles et des calculs politicien­s nous interdisen­t, à l’avenir, de parler du Québec, malgré ses imperfecti­ons, comme un modèle d’accueil et d’ouverture.

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