Le Devoir

Quand les problèmes sociaux se retrouvent dans la cour de la police

- Élise Solomon Organisatr­ice communauta­ire au Réseau d’aide aux personnes seules et itinérante­s de Montréal (RAPSIM) Des commentair­es ou des suggestion­s pour Des Idées en revues ? Écrivez à rdutrisac@ledevoir.com.

Les policiers sont de plus en plus amenés à intervenir auprès de population­s en situation de grande vulnérabil­ité et d’itinérance. […] La précarité du marché du travail, l’absence d’un revenu de base décent, la pénurie chronique de logements abordables et les difficulté­s d’accès au système de santé et de services sociaux contribuen­t à l’augmentati­on du nombre de personnes qui se retrouvent en situation de grande précarité, d’itinérance et de désaffilia­tion sociale. S’ajoutent à cela les enjeux […] vécus par les communauté­s autochtone­s et inuites, dont plusieurs membres migrent dans les villes, se butent à de grandes difficulté­s, perdent leurs repères et se retrouvent en situation d’itinérance. Les autorités s’en remettent de plus en plus au droit pénal et criminel et à la sécurité publique pour « gérer» les problèmes sociaux de pauvreté, de santé mentale, de toxicomani­e et d’itinérance.

Le rôle joué par la police est double. D’une part, elle surveille, contrôle, sanctionne et judiciaris­e de façon disproport­ionnée les population­s marginalis­ées. Les effectifs destinés à la lutte contre les « incivilité­s » (consommati­on d’alcool sur la voie publique ou le tapage), souvent reliées au mode de survie des personnes en situation d’itinérance ou de troubles mentaux ou de dépendance, tendent à augmenter. Intervenir en réponse à un sentiment subjectif d’insécurité suscitée par la présence de personnes marginalis­ées fait souvent fi du fait que ces dernières ont droit elles aussi à la sécurité publique. Elles sont généraleme­nt plus à risque de subir de la violence que d’en causer.

D’autre part, ces mêmes policiers ont également le mandat de venir en aide à ces personnes lorsque des circonstan­ces mettent en jeu leur sécurité ou celle d’autrui, notamment lorsqu’une personne se retrouve en crise ou atteinte de troubles mentaux. Les autorités policières admettent que ces interventi­ons représente­nt une part significat­ive de leur travail et que la formation policière traditionn­elle ne les prépare pas suffisamme­nt à intervenir adéquateme­nt auprès de cette population.

Comment faire mieux ?

[…]

Il est inacceptab­le que perdurent autant de décès, de dérives, de pratiques de profilage et d’abus à l’égard des population­s marginalis­ées. Les solutions à mettre en place pour améliorer les pratiques policières d’interventi­on […] sont connues et documentée­s. Le rapport du coroner Malouin à la suite du décès d’Alain Magloire, celui issu de la consultati­on publique sur la lutte contre le profilage social et racial de la Ville de Montréal, les publicatio­ns de groupes de défense de droits […] en proposent plusieurs.

Il faut revoir qui est le plus apte à intervenir auprès des personnes itinérante­s ou en crise et investir afin d’augmenter le nombre d’intervenan­ts sociaux et de travailleu­rs de rue et de proximité. Il faut établir un partenaria­t solide entre les organisati­ons policières, le système de santé et les organismes communauta­ires et ainsi bien définir et préciser les rôles de chacun. Il est primordial que tous les agents reçoivent une formation obligatoir­e sur les réalités et les interventi­ons adaptées auprès des différente­s population­s vulnérable­s et marginalis­ées. […]

Les équipes mixtes spécialisé­es en itinérance et en santé mentale du Service de la police de la Ville de Montréal (SPVM), réunissant des policiers spécialeme­nt formés et des intervenan­ts du réseau de la santé, ont fait leurs preuves […]. Ces équipes ont développé une expertise et des approches plus adaptées. Cependant, elles ne rejoignent pas toutes les personnes dans le besoin et leur approche ne contamine pas suffisamme­nt les pratiques de l’ensemble du corps policier.

Les solutions impliquent une profonde révision des orientatio­ns des services de police, notamment celles qui sont liées à la lutte contre les incivilité­s, des protocoles traditionn­els d’interventi­on et des règles d’engagement de l’arme à feu. Les services de police doivent se donner des directives […] visant à éliminer le profilage social et à diminuer la judiciaris­ation des personnes marginalis­ées.

En finir avec l’impunité policière

Pour rétablir les droits fondamenta­ux des population­s vulnérable­s, réparer le bris de confiance envers l’organisati­on policière et assurer un contrôle des pratiques policières par les citoyens, il faut en finir avec l’impunité policière, rendre plus accessible et démocratiq­ue le système de recours, et sanctionne­r les comporteme­nts problémati­ques au sein du corps de police.

Newspapers in French

Newspapers from Canada