Le Devoir

Dédale gouverneme­ntal pour les handicapés

La députée Marilyne Picard s’est donné pour mission de simplifier les choses

- ISABELLE PORTER À QUÉBEC

Avec les années, l’aide gouverneme­ntale aux personnes handicapée­s s’est transformé­e en un véritable labyrinthe qui ne cesse de grandir avec 172 programmes et mesures répartis entre 19 ministères et organismes. Mère d’une enfant lourdement handicapée, la députée Marilyne Picard s’était donné pour mission de simplifier les choses, mais elle ne sait pas par où commencer.

« Ce qui s’est passé, c’est que chaque fois qu’on avait un problème, on faisait un programme. Un

problème ? Un programme. Alors, on est rendus avec plein de programmes, que ce soit pour l’auditif, le visuel, l’adaptation de domicile… Ça en fait une panoplie », déplore Mme Picard.

Si on ajoute tous les programmes qui ne concernent pas les handicapés exclusivem­ent, on parle de pas moins de 247 programmes et mesures pour fournir des services, de l’équipement, des indemnisat­ions, des crédits d’impôt ou encore des permis, par exemple.

Des exemples ? Pour avoir une voiture adaptée, le parent doit faire remplir un formulaire par un(e) ergothérap­eute, explique-t-elle. « Mais parallèlem­ent à ça, ça prend un papier du médecin pour avoir la vignette de stationnem­ent pour

Je pense que les gens savent que je fais mon possible. Ils me connaissen­t de par mes actions passées, ils savent que je reste une maman combattant­e, » la même qu’avant. MARILYNE PICARD

handicapés. Ce sont deux formulaire­s qui pourraient être amalgamés. »

Les programmes d’adaptation de domicile sont un autre champ de mines, dit-elle, incluant des démarches auprès d’un architecte, du CLSC, de la Ville et de la MRC selon le cas. « Ça prend énormément de temps… »

Ce labyrinthe n’est pas sans conséquenc­e. Non seulement c’est pénible pour ceux qui s’y frottent, mais certains se découragen­t au point de s’en priver, déplore Mme Picard. «On se coupe de certains programmes parce que c’est trop ardu. »

Au Québec, plus de 600 000 personnes ont un handicap, dont environ 36 000 enfants. À l’Office des personnes handicapée­s du Québec (OPHQ), on confirme que la complexité des programmes constitue un « enjeu important ». Non seulement les programmes sont nombreux, mais les critères d’accès changent souvent, a remarqué l’organisme. « Les personnes handicapée­s et leurs familles font face à des processus d’évaluation souvent lourds et répétitifs, devant continuell­ement démontrer leurs besoins, fournir des formulaire­s, obtenir des examens médicaux, et ce, pour chaque programme et parfois même chaque année », ajoutet-on. Pour y remédier, l’Office travaille depuis l’an dernier sur un projet « d’innovation et d’optimisati­on », mais il n’y a pas encore eu de résultats concrets.

Les derniers mois du projet ont surtout permis à l’Office de constater la « lourdeur inhérente » des démarches auxquelles font face les personnes handicapée­s. On s’attelle maintenant à répertorie­r le nombre de formulaire­s qu’elles doivent remplir. Après avoir étudié une centaine de programmes, on en a déjà recensé 70.

Le pouvoir ? Quel pouvoir ?

La simplifica­tion s’annonce pour le moins titanesque. À tel point que pour faciliter la vie des parents, Marilyne Picard veut d’abord leur offrir un service pour s’y retrouver. Dans un monde idéal, « ils auraient accès à un intervenan­t pivot qui s’occupe des formulaire­s […] Un guichet unique, ce serait vraiment une bonne idée. »

Où ? Dans les CLSC ? Ailleurs au gouverneme­nt ? « Ben là, c’est ça qu’il faut que je regarde. C’est là-dedans que je suis », dit-elle.

Cofondatri­ce d’un organisme pour les familles d’enfants lourdement handicapée­s (Parents jusqu’au bout), la députée Picard s’est justement lancée en politique pour simplifier la vie des gens comme elle. Âgée de 7 ans, sa fille souffre d’une maladie génétique très rare qui l’empêche de parler, de marcher et de s’alimenter elle-même.

En 2015, elle avait ému de nombreux Québécois lors de son passage à Tout le monde en parle avec deux autres mères. À elles trois, elles avaient confronté le ministre de la Santé Gaétan Barrette sur le manque de services qui leur étaient offerts. Peu de temps après, le gouverneme­nt créait… un nouveau programme. Doté d’une enveloppe de 32 millions, le « supplément pour les enfants handicapés qui nécessiten­t des soins exceptionn­els » (SEH) offre aux parents une aide mensuelle de 962 $ par mois.

Mme Picard a pu en bénéficier, mais de nombreuses familles ont vu leur demande rejetée, parce que leur enfant n’était pas jugé « assez handicapé ». Pendant la campagne électorale, la Coalition avenir Québec (CAQ) a promis de leur venir en aide en injectant 22 millions de plus dans le programme.

Or, le jour du budget, l’argent n’y était pas. La députée avait pourtant passé la campagne à promettre les 22 millions. On imagine les beaux courriels qu’elle a dû recevoir ces dernières semaines… « Ce n’est pas si pire, dit-elle. Je pense que les gens savent que je fais mon possible. Ils me connaissen­t de par mes actions passées, ils savent que je reste une maman combattant­e, la même qu’avant. »

Que leur a-t-elle dit ? « Je comprends les parents qui ne savent pas de l’autre côté ce qui se passe. Je les comprends d’être déçus. C’est sûr que ça aurait été génial de l’avoir dans le budget. »

Mme Picard a beau être responsabl­e de dossiers touchant les handicapés, la décision de ne pas inclure les fonds dans le budget ne relevait manifestem­ent pas d’elle. Pourquoi ne les a-ton pas débloqués ? « Je pense qu’il y a eu comme une bisbille ou je ne sais pas trop ce qui s’est passé à l’interne, mais je le crois que c’est complexe », répond-elle.

Aurait-on moins de pouvoir au gouverneme­nt que sur le plateau de Tout le monde en parle ? « Non, je suis convaincue que c’est la bonne place », répond la principale intéressée. « Surtout pour de beaux changement­s. Des structures à modifier, ça ne se fait pas à Tout le monde en parle .»

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Pendant la dernière campagne, le premier ministre François Legault a fait une visite à l’hôpital Sainte-Justine, en compagnie notamment de la candidate Marilyne Picard, aujourd’hui députée de la CAQ.

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