Le Devoir

Adieu développem­ent durable, bonjour résilience urbaine

- ANDRÉANNE CHEVALIER

Alors que les municipali­tés québécoise­s semblent diminuer leur engagement envers le développem­ent durable, le concept de résilience urbaine quant aux changement­s climatique­s prend de plus en plus de place et enthousias­me les troupes.

C’est le sentiment d’urgence d’agir qu’a retenu Suzanne Roy, mairesse de Sainte-Julie, à la suite du Sommet municipal – Résilience climat, organisé par l’Union des municipali­tés du Québec avec le consortium Ouranos, à Gatineau à la fin mars. Quelque 250 participan­ts s’y sont réunis pour aborder la question de la résilience des municipali­tés quant aux changement­s climatique­s.

« On vient de sortir d’un hiver où certaines régions ont eu 17 périodes de gel et dégel aux mois de janvier et février. C’est un peu difficile de dire qu’il n’y a

pas d’impact des changement­s climatique­s », donne en exemple celle qui est aussi présidente du Comité sur les changement­s climatique­s de l’UMQ.

« La résilience, c’est vraiment la capacité d’une communauté à faire face au choc », résume le directeur général du consortium sur la climatolog­ie régionale et l’adaptation aux changement­s climatique­s Ouranos, Alain Bourque. La notion implique que « les personnes, les communauté­s, les institutio­ns, les entreprise­s et les systèmes au sein d’une ville » résistent, s’adaptent et se développen­t, « quels que soient les types de stress chronique et les chocs aigus qu’ils subissent », selon le regroupeme­nt internatio­nal 100 Resilient Cities, dont fait partie la Ville de Montréal depuis 2015. Les événements météorolog­iques extrêmes et l’augmentati­on des températur­es font par exemple partie des stress associés aux changement­s climatique­s.

L’enthousias­me noté par Mme Roy au sommet contraste toutefois franchemen­t avec les résultats d’un sondage mené en 2018 par le ministère des Affaires municipale­s et de l’Habitation, dont les résultats ont été publiés récemment. Selon celui-ci, de moins en moins de municipali­tés et d’organismes municipaux se disent engagés dans une démarche de développem­ent durable. Les répondants étaient 36,4 % à l’affirmer en 2015 ; ils ne l’étaient plus qu’à 23,7 % en 2018. Les manques de ressources humaines et financière­s sont principale­ment invoqués pour justifier ce désintérêt.

Mme Roy admet avoir d’abord été surprise par les résultats du sondage. Puis, « j’ai un peu compris parce que ça traitait vraiment du développem­ent durable. Si on me pose la question : “Avezvous un plan d’ensemble sur le développem­ent durable ?”, ma réponse, ça va être non. Mais en même temps, notre ville est à sa deuxième génération de plan environnem­ental. »

Semblables, mais différents

La directrice générale du Conseil régional de l’environnem­ent de Montréal, Coralie Deny, constate des similitude­s entre la notion de développem­ent durable et la résilience. « Je ne dirais pas que le développem­ent durable, dans le sens large du terme, ne préoccupe pas ou moins qu’avant les municipali­tés. Peut-être que le concept se raffine, se transforme. Ça prend des mots différents : résilience, économie solidaire, gestion des matières résiduelle­s, [lutte contre le] suremballa­ge, logement social… »

Ainsi, bien qu’investir dans le développem­ent durable réduirait les problèmes liés aux changement­s climatique­s, croit Alain Bourque, « ce n’est pas tout à fait ça qui arrive. Les changement­s climatique­s semblent de plus en plus accrocher [l’attention], contrairem­ent au développem­ent durable, parce que les gens sur le terrain qui sont pris avec des urgences sont capables de reconnecte­r ça avec [ce qui se passe sur le] moment. »

Le concept de résilience est lui aussi à risque d’être perçu comme trop général, note par ailleurs M. Bourque. Et comme avec le développem­ent durable, le manque de ressources demeure un enjeu: «Les élus nous disent la même chose, affirme Suzanne Roy. On n’a pas les moyens de nos ambitions. »

On veut une ville résiliente, mais est-ce » qu’on la fait réellement ? CORALIE DENY Les élus nous disent la même chose. On n’a pas les moyens » de nos ambitions. SUZANNE ROY

Le temps de l’action

La multiplica­tion des phénomènes comme les inondation­s ou les canicules appelle à l’action. « C’est toujours quand on fait face à la réalité et non plus à la théorie que ça devient plus urgent », observe Mme Roy.

Pour Coralie Deny, s’attaquer avec résilience aux enjeux urbains, dont ceux liés aux changement­s climatique­s, implique de faire preuve d’innovation — sur le plan des technologi­es, mais surtout des pratiques — et d’agilité quant à l’imprévisib­ilité, à la complexité et à la multiplici­té des réponses possibles.

Elle prend l’exemple des précipitat­ions hivernales et du déneigemen­t. « [La Ville passe] la déneigeuse, après il repleut, ça gèle, elle passe le croque-glace, et il repleut et il regèle. Mais la croqueuse et la déneigeuse viennent de passer, elles ont des milliers de kilomètres à faire, c’est sûr qu’elles ne vont pas repasser dans les trois heures qui suivent. Comment fait-on ? Comment fait-on pour qu’une ville ne soit pas paralysée par ça et que les population­s ne soient pas laissées pour compte ? »

À son avis, la Stratégie montréalai­se pour une ville résiliente, publiée en juin 2018, est plus axée sur la communicat­ion et sur l’analyse des phénomènes que sur l’action. « On veut une ville résiliente, mais est-ce qu’on la fait réellement ? »

Une résilience aussi sociale

Présente sur un panel qui abordait les changement­s climatique­s à Montréal et la résilience lundi dernier, la professeur­e et chercheuse Sophie Van Neste, de l’INRS, souligne qu’il faut « éviter d’aborder l’enjeu climatique comme un enjeu technique. La plus grande incertitud­e est notre capacité d’action collective ». Elle souligne que les conséquenc­es des enjeux climatique­s sont vécues différemme­nt par différents types de population et que les groupes les plus vulnérable­s sont ceux qui récupèrent le plus difficilem­ent.

Aussi, agir pour plus de résilience ne veut pas seulement dire intervenir directemen­t sur une situation. « Les gens ont plus tendance à essayer de s’attaquer à l’événement et au problème plutôt que d’investir dans la prédisposi­tion ou la non-prédisposi­tion », remarque Alain Bourque. Les initiative­s de verdisseme­nt, par exemple, créent du capital social en plus de remplir leur objectif premier de réduction des îlots de chaleur. « Ça permet aussi d’investir dans la résilience de communauté­s avec des façons qu’on n’avait pas initialeme­nt pensées. »

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PHOTOS GUILLAUME LEVASSEUR LE DEVOIR Les villes doivent être en mesure de répondre aux impacts des changement­s climatique­s, qui commencent à se faire sentir, selon la présidente du Comité sur les changement­s climatique­s de l’Union des municipali­tés du Québec. La province sort d’un hiver durant lequel certaines de ses régions ont eu 17 périodes de gel et dégel aux mois de janvier et février.
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