« Le retour du printemps »: Une chronique de François Brousseau
C’est un truisme : le « Printemps arabe » d’il y a huit ans a très mal tourné.
Partout où des foules avaient défilé, début 2011, pour exiger la liberté d’association et d’expression, dénoncer la dictature, demander le libre choix de leurs dirigeants, ou même — comme en Syrie entre mars et mai de cette année-là — pour simplement demander une « réforme », la main tendue au régime existant… la réponse arriva vite : répression, guerre et chaos.
Seule la petite Tunisie a échappé à cette règle funeste. Elle a évité guerre et dictature, avançant cahin-caha vers un régime d’État de droit, de séparation des pouvoirs et de laïcité imparfaite. Mais même dans ce pays réputé à l’avant-garde des droits des femmes, la demande proprement révolutionnaire d’une égalité des sexes devant la succession et l’héritage passe mal et divise la société en 2019. Quant à la fragile démocratie tunisienne, elle reste seule, en observation, menacée par la crise économique et un environnement régional hostile.
Hormis l’exception de Tunis, la régression quasi généralisée de cette région du monde, depuis 2011, a conduit beaucoup d’observateurs à la ranger dans la colonne des causes perdues.
Culturellement étrangers à la démocratie, prisonniers de l’alternative funeste « dictature militaire ou tyrannie islamiste », les peuples arabes seraient condamnés à vivoter pour toujours en marge de la modernité.
La Tunisie pourrait-elle avoir, demain, de nouveaux alliés démocratiques dans le monde arabe ? Deux espoirs en ce printemps 2019 : l’Algérie et le Soudan.
Dans les deux cas, des manifestations massives et persistantes ont obtenu en quelques semaines la chute — bien sûr, avec un coup de pouce de l’armée, ce qui reste problématique, mais tout de même — d’un dictateur détesté.
Avec une suite des événements incertaine : entre la possibilité d’une répression violente, celle d’une récupération réussie par l’élite galonnée et l’éternelle hypothèque que font peser des islamistes en embuscade.
Nouveau Printemps arabe ? La formule est tentante. Algériens et Soudanais montrent aujourd’hui au reste du monde que la résignation à la dictature, à la chape de plomb religieuse et misogyne n’est pas une fatalité. Que, oui, les Arabes peuvent vouloir autre chose, et le dire haut et fort.
Dans un article-fleuve publié cette semaine par l’hebdomadaire Le Point, le journaliste et écrivain Kamel Daoud salue l’habileté des manifestants algériens, jusqu’à aujourd’hui, à naviguer entre ces écueils mortels :
« Le vendredi, la grande foule se mouvait avec précaution, attentive et méfiante, coulait par les rues et les avenues mais comme sur la pointe des pieds. Un oued retenant son souffle. Précautionneux. Tout était volonté de se distinguer de cette loi “arabe” : se soulever, se faire voler la révolution par les islamistes et retomber dans les bras armés de l’armée de son pays. Se faire enfermer, dépérir et se faire déposséder. »
Récupération par les islamistes ? Daoud répond : « Oui, possible. Ils ont la force de leur nombre, de leurs fonds et capitaux, Erdogan et l’Arabie, les réseaux des mosquées et l’orthodoxie religieuse. »
Deux images féminines pour montrer le « nouveau » en 2019, et une figure de l’espoir en ce « Printemps arabe bis ».
À Alger, il y a déjà six semaines, le 1er mars, au milieu des manifestants : Melissa Ziad, 17 ans, effectue quelques pas de danse classique devant un drapeau algérien. Image magnifique, inusitée dans une manifestation arabe, symbole d’une révolution désirée qui — pour en être une — peut, veut et doit inclure des femmes bien visibles, libérées de leur cuisine et de leur voile.
Et puis, la semaine dernière, autre géographie et autre contexte : cette image d’une jeune Soudanaise, debout sur une voiture, haranguant la foule devant le quartier général de l’armée à Khartoum. Portant un voile blanc, mais les cheveux et le visage épanoui bien en vue, Alaa Salah est devenue une incarnation du mouvement. Cette femme de 22 ans affirme le rôle crucial joué par les femmes dans la contestation : « Les femmes soudanaises, explique-t-elle à l’AFP, ont toujours participé aux révolutions dans ce pays. »
L’avenir de ces révolutions démocratiques, c’est aussi pour beaucoup ce qu’en feront — ou non — les femmes.