Hydro-Québec, le « vaisseau amiral »
Les défis qui attendent la société d’État restent nombreux en cette ère de changements climatiques
Bien de l’eau a coulé dans les turbines des centrales hydroélectriques depuis la création, il y a 75 ans, de la Commission hydroélectrique de Québec, qui deviendra Hydro-Québec, véritable « vaisseau amiral de l’économie québécoise ». De nombreux dignitaires étaient réunis dimanche à la Société des arts technologiques (SAT) à Montréal pour souligner le geste audacieux posé le 14 avril 1944 par le gouvernement d’Adélard Godbout, qui créa la société d’État en nationalisant la Montreal Light, Heat and Power Consolidated.
« L’histoire d’Hydro-Québec, c’est une belle histoire, une grande histoire », a lancé le premier ministre François Legault face à un parterre parsemé de personnalités politiques, parmi lesquelles on distinguait les expremiers ministres Jean Charest, Lucien Bouchard, Pierre-Marc Johnson et Daniel Johnson.
« L’hydroélectricité, c’est encore l’affaire du siècle », a-t-il assuré. « C’est un outil pour attirer des investisseurs au Québec et c’est un moyen pour s’enrichir en exportant davantage», a estimé le premier ministre.
« Le Québec pourrait devenir la batterie du nord-est des Amériques », a-til rêvé tout haut.
Plusieurs projets d’exportation d’hydroélectricité sont dans la mire de la société d’État. Si elle obtient les autorisations nécessaires, Hydro-Québec pourrait acheminer 9,45 térawattheures de courant par année pendant 20 ans vers
le Maine et le Massachusetts. La société d’État a aussi déposé une offre pour vendre au Connecticut 3 TWh par année pendant dix ans.
Des discussions sont également en cours pour développer un nouveau projet hydroélectrique à Gull Island, à l’extrême est de Terre-Neuve.
Le défi climatique représente une « opportunité » et un argument de taille pour Hydro-Québec, a fait valoir son président-directeur général, Éric Martel. « Nos exportations à elles seules l’an dernier étaient équivalentes à retirer 2 millions de véhicules de la circulation. »
Avec des profits ayant dépassé les 3 milliards de dollars en 2018, HydroQuébec est non seulement une « source de fierté fantastique pour les Québécois», mais «surtout une formidable source d’enrichissement collectif», a souligné le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, Jonatan Julien.
Hydro-Québec, c’est « 63 centrales hydroélectriques pour 36 767 mégawatts raccordés », a rappelé M. Julien, évoquant un « développement visionnaire ».
La fin du cycle des grands projets arrivera en 2021 avec la mise en service de la centrale La Romaine-4. « Mais il ne sera pas question de construire d’autres barrages tant qu’on n’aura pas des contrats [de vente] signés pour de longues périodes», a déclaré le premier ministre Legault.
« Je vais continuer d’insister auprès de l’Ontario, auprès des États du NordEst américain pour dire : on a de l’électricité qui est disponible à un coût très compétitif. »
Quatre bâtisseurs
Pour marquer ce 75e anniversaire de la société d’État, quatre de ses grands bâtisseurs étaient réunis dimanche pour une discussion animée par la journaliste Esther Bégin. Dans un échange empreint de reconnaissance à l’égard des hommes et des femmes qui ont façonné chacun à leur façon Hydro-Québec, les ex-premiers ministres Lucien Bouchard et Jean Charest, de même que l’ex-président-directeur général d’Hydro-Québec André Caillé, et l’ex-président et chef de l’exploitation d’Hydro-Québec Armand Couture ont rappelé les moments marquants de l’histoire de la société d’État.
« Hydro-Québec, c’est la manifestation la plus éclatante de l’entrée du Québec dans la modernité », a souligné M. Bouchard. Selon lui, le premier ministre Robert Bourassa a posé « un geste courageux » en lançant le projet de la Baie-James en 1971, alors qu’un débat virulent avait cours entre les tenants de l’énergie nucléaire et les partisans de l’hydroélectricité. Encore à ce jour, il s’agit de la plus grande centrale hydroélectrique souterraine du monde.
Quelques années plus tard, en 1975, Québec et des représentants cris et inuits signaient la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, qui a notamment pavé la voie à la Paix des Braves. « On ne peut pas sous-estimer l’importance dans notre histoire de cette convention », a insisté Jean Charest. «C’est ce qui a rythmé nos relations avec les Premières Nations après ça. »
Pendant la crise du verglas de 1998, alors que la moitié de la population du Québec était plongée dans le noir, « on a improvisé jour après jour », a évoqué Lucien Bouchard. Aucun plan d’urgence n’était prévu pour gérer ce type de situation, a-t-il rappelé. « Il fallait focuser et refocuser », a expliqué André Caillé, qui était p.-d.g. d’Hydro-Québec à l’époque. « C’est alors que j’ai commis un péché mortel pour un dirigeant péquiste, j’ai appelé le premier ministre du Canada et j’ai demandé l’aide de l’armée canadienne », a lancé M. Bouchard, sourire en coin.
« Hydro-Québec doit rester le moteur économique du Québec », a fait valoir Armand Couture. « Il faut construire, il faut construire [des projets hydroélectriques] », a martelé Lucien Bouchard en aparté au Devoir. « C’est maintenant qu’il faut décider », a ajouté André Caillé, soulignant que « ça prend 15 ans pour réaliser un projet ».
En raison de son importance névralgique, Hydro-Québec, « c’est un dossier du premier ministre », a souligné M. Bouchard.
Adélard Godbout, Maurice Duplessis, Jean Lesage, René Lévesque, Robert Bourassa, Bernard Landry et tant d’autres premiers ministres ont laissé une marque indélébile sur cette source de fierté si intrinsèquement québécoise.
«Il n’est pas question d’arrêter cette chaîne historique », a assuré le premier ministre actuel, François Legault. « Jean Charest est le dernier à avoir lancé la construction d’un grand barrage hydroélectrique au Québec [La Romaine]… pour l’instant. »
Je vais continuer d’insister auprès de l’Ontario, auprès des États du Nord-Est américain pour dire : on a de l’électricité qui est disponible à » un coût très compétitif FRANÇOIS LEGAULT