Le Devoir

Les conséquenc­es de la peur

Dans Mon héros Oussama, le partisan de Ben Laden n’est pas le personnage le plus dangereux...

- MARIE LABRECQUE COLLABORAT­RICE

Du dramaturge britanniqu­e Dennis Kelly, maintes fois monté à La Licorne, on connaît déjà les thèmes de prédilecti­on. Des thématique­s qui s’alimentent au climat social de l’époque, un monde de jugement expéditif où « il faut choisir son camp ». Le puissant auteur d’Orphelins et d’Après la fin y explore encore une fois la violence, la peur. La suspicion face à l’autre, la stigmatisa­tion de ce qui est différent, en dehors des normes sociales.

Créée en 2005, Mon héros Oussama — un titre osé quelques années après le 11 Septembre, assez pour attirer des policiers au théâtre, à l’époque — est l’une de ses premières pièces, liée au mouvement anglais de théâtre frontal in-yer-face. L’oeuvre expose une intéressan­te constructi­on en trois temps, axée autour d’un événement central.

Adolescent marginal, incompris et cherchant sa place dans le monde, Gary profère certains discours inquiétant­s. Invité à décrire un héros dans un exposé oral, il choisit par exemple l’héritier d’une famille saoudienne richissime, qui renonce à tout pour vivre dans une grotte afghane… Dans un quartier où se multiplien­t les incendies de garages, l’ado étrange va devenir une cible idéale. Frustrés par certains aspects de leur vie, trois voisins vont le kidnapper et chercher un exutoire dans la vengeance.

L’auteur de Comment s’occuper de bébé ? semble moins s’intéresser ici à la culpabilit­é ou l’innocence de Gary (et en donnant le rôle au doué Gabriel Szabo, avec sa physionomi­e candide, le spectacle paraît écarter d’emblée l’ambiguïté) qu’à comment des êtres plus ou moins ordinaires peuvent déraper dans une brutalité horrible. Dénonçant la pression du groupe, la rapidité à condamner sans preuves, le deuxième segment du récit nous confronte délibéréme­nt à la laideur primaire de la vengeance. Et l’expérience, dans la salle intime du théâtre Prospero, avec un niveau sonore élevé, s’avère certaineme­nt agressante à souhait (même si la violence est pudiquemen­t cachée derrière un divan).

Le spectacle joue d’ailleurs sur cette proximité, faisant parfois asseoir Gary dans la première rangée, parmi les spectateur­s, afin de les faire participer.

Divisée en trois sections aux tonalités différente­s, dont un « après » plus serein où les personnage­s cherchent un sens à ce qu’ils ont vécu, Mon héros Oussama n’est pas une pièce simple à mettre au monde. Et la première partie, notamment, du spectacle dirigé par Reynald Robinson semble manquer franchemen­t de netteté quant aux enjeux, à la nature des personnage­s. La pièce donne aussi lieu à une interpréta­tion plutôt inégale.

C’était peut-être là un projet trop ambitieux pour cette petite production, la première d’une compagnie fondée par les comédiens Anne-Justine Guestier et Gabriel Simard. Avait-on été trop gâtés par les production­s des textes de Dennis Kelly jusqu’ici ? Je reste en tout cas avec l’impression d’un spectacle resté en deçà de la force de cet auteur.

Mon héros Oussama

Texte: Dennis Kelly. Mise en scène: Reynald Robinson. Traduction: Jean-François Rochon. Une production du Collectif Les Fauves. Avec Gabriel Szabo, Anne-Justine Guestier, Éric Cabana, Gabriel Simard et Élisabeth Smith. À la salle intime du théâtre Prospero, jusqu’au 20 avril.

L’expérience, dans la salle intime du théâtre Prospero, avec un niveau sonore élevé, s’avère certaineme­nt agressante à souhait (même si la violence est pudiquemen­t cachée derrière un divan)

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