Le Devoir

L’offre bonifiée reste insuffisan­te, selon les chauffeurs de taxi

- MAGDALINE BOUTROS

Devant le mécontente­ment des chauffeurs de taxi, le ministre des Transports François Bonnardel bonifie son offre et propose de rembourser aux titulaires de permis la somme qu’ils ont déboursée à l’achat.

En point de presse lundi matin à Montréal, M. Bonnardel a annoncé qu’il déposera un amendement au projet de loi 17 afin de hausser de 20 à 90 sous la redevance temporaire prévue pour l’ensemble des courses. Une somme de 270 millions de dollars devrait ainsi être amassée sur une période de cinq à six ans. Cette compensati­on supplément­aire sera donc financée par les consommate­urs.

La redevance est « basée sur le principe de l’utilisateu­r-payeur », a déclaré le ministre Bonnardel. « C’est une propositio­n responsabl­e afin que tous les titulaires de permis puissent récupérer leurs investisse­ments sans avoir recours à davantage de fonds publics », a-t-il fait valoir.

Cette redevance temporaire permettra également d’instaurer un fonds spécial de 10 millions « pour accompagne­r certains cas plus particulie­rs ».

La hausse de la redevance s’ajoute à l’enveloppe de 500 millions déjà annoncée par Québec pour compenser la perte de la valeur des permis depuis l’arrivée d’Uber et aux 44 millions provenant du fonds de modernisat­ion de l’industrie du taxi, financé par les redevances payées uniquement par Uber depuis 2017.

Au total, les aides financière­s mises en place par Québec s’élèvent donc à 814 millions.

Valeur marchande

Selon le ministre Bonnardel, cette somme sera suffisante pour rembourser le prix payé à l’achat par les individus ou les sociétés qui détiennent les quelque 7500 permis de propriétai­res de taxi transférab­les au Québec.

Cette somme ne représente toutefois pas la valeur marchande des permis de taxi, évaluée à 1,3 milliard au moment de l’arrivée de Uber au Québec en 2014.

« Il propose de nous compenser pour 59 % de la valeur de nos permis », s’insurge en entrevue Abdallah Homsy, porte-parole de l’industrie du taxi.

« La propositio­n du ministre revient à dire que nous aurons de meilleures funéraille­s, mais qu’il va quand même tuer l’industrie du taxi pour faire plaisir à Uber. »

M. Homsy estime que cette propositio­n est encore plus inéquitabl­e pour ceux qui ont acheté leurs permis il y a plus d’une décennie. Les permis, perçus comme des investisse­ments, ont pris de la valeur au fil des ans. « Le ministre dit aux chauffeurs qui ont pris ce permis comme un fonds de retraite qu’ils viennent de le perdre », illustre-t-il.

De son côté, François Bonnardel a fait valoir qu’un chauffeur qui a acheté un permis 50 000 $ il y a 20 ans a pu l’amortir sur quelques années, alors qu’un titulaire ayant déboursé 200 000 $ récemment n’en a pas eu le temps. Il a également fait remarquer que « l’industrie a spéculé».

Avec cette nouvelle propositio­n, le ministre affirme qu’il répond aux « inquiétude­s et à l’insécurité » exprimées par les propriétai­res de permis de taxi depuis le dépôt du projet de loi 17 qui libéralise le marché du transport rémunéré de personnes.

Nouvelle taxe

Gaétan Barrette, porte-parole de l’opposition officielle en matière de transports, n’a pas hésité à parler d’une « nouvelle taxe » qui sera imposée au consommate­ur. Il a toutefois convenu que la hausse de la compensati­on représente « un pas dans la bonne direction ».

À ses yeux, l’abolition du régime des permis représente une expropriat­ion. Il demande donc au gouverneme­nt Legault de suivre la jurisprude­nce en la matière et de dédommager justement les titulaires de permis. « Les règles de l’expropriat­ion ne disent pas que, si c’est un gros montant on ne le donnera pas », a-t-il fait remarquer.

Pour Ruba Ghazal, porte-parole de Québec solidaire en matière des transports, la nouvelle propositio­n du gouverneme­nt représente «une insulte pour les gens du taxi ».

« Uber doit être mort de rire de voir que le gouverneme­nt demande à l’industrie du taxi de se compenser ellemême », a-t-elle fait remarquer, ajoutant que c’est à Uber de payer pour dédommager les propriétai­res de permis de taxi, et non aux contribuab­les.

Division

Tout juste avant le point de presse de lundi, François Bonnardel a rencontré les représenta­nts de l’industrie du taxi. « Il y en a qui ne veulent pas discuter. Il y en a d’autres qui acceptent de discuter de la compensati­on et qui veulent regarder vers l’avenir », a-t-il mentionné.

Une déclaratio­n qui a hérissé Abdallah Homsy. « Il mise sur la division. C’est vraiment déplorable pour un ministre qui se dit ouvert au dialogue », a-t-il dit.

Devant les médias, M. Bonnardel a répété être « le meilleur allié » de l’industrie du taxi. Selon le ministre, sur les 50 millions de courses effectuées annuelleme­nt au Québec, seulement 10 millions échappent actuelleme­nt aux chauffeurs de taxi. Si l’industrie « s’unifie et travaille ensemble », M. Bonnardel s’est dit prêt à travailler avec les chauffeurs « pour aller chercher encore plus de courses ».

Abdallah Homsy s’inquiète de ne pas savoir d’où proviennen­t ces chiffres. « Il ne nous dit même pas sur quelle étude il se base pour dire qu’on a 40 millions de courses par année. Estce que ça vient de l’étude faite par Uber?», demande-t-il, déplorant le manque de transparen­ce de Québec.

Au cours des prochains jours, l’industrie consultera ses membres pour déterminer si de nouveaux moyens de pression seront adoptés.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Québec offre de rembourser aux détenteurs d’un permis de taxi la somme qu’ils ont payée au moment de l’acquisitio­n.
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JACQUES BOISSINOT LA PRESSE CANADIENNE François Bonnardel
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JACQUES BOISSINOT LA PRESSE CANADIENNE Abdallah Homsy

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