Le Devoir

Pour contrer le lent déclin

- ROBERT DUTRISAC

Onze ans après le dernier rapport complet sur la situation linguistiq­ue au Québec, qui doit être produit en principe tous les cinq ans, l’Office québécois de la langue française (OQLF) a publié finalement son dernier opus sous la pression de la ministre responsabl­e de la langue française, Nathalie Roy. Le gouverneme­nt libéral a tout fait pour gommer la réalité linguistiq­ue au Québec, ne retenant que les aspects positifs et édulcorant les données moins reluisante­s, avec le concours complaisan­t de l’OQLF. Au moins, il y a un véritable rapport, comme l’exige la Charte de la langue française, qui a été rendu public. Certes, ce rapport quinquenna­l doit être remis au ministre en titre, mais il est dommage que le titulaire puisse décider à sa guise s’il doit être rendu public ou non et quand il doit l’être, le cas échéant.

Dans son communiqué, l’OQLF présente un bilan partagé — le verre à moitié plein ou à moitié vide —, en énumérant huit améliorati­ons et autant de points négatifs décrits comme des « chantiers pour que le français continue d’être la langue commune au Québec ».

Parmi les éléments positifs, on note que 94 % des Québécois se disent capables de soutenir une conversati­on en français. C’est une donnée déjà connue, mais elle reflète le principal succès de la loi 101, c’est-à-dire la scolarisat­ion en français des enfants d’immigrants, ainsi que la progressio­n du bilinguism­e chez les anglophone­s. En vingt ans, le pourcentag­e des Québécois de langue anglaise qui maîtrisent le français est passé de 69 à 77 %, et celui des Québécois de langue tierce, de 63 à 70 %.

Si on regarde les substituti­ons linguistiq­ues — environ le tiers des immigrants allophones parlent le plus souvent le français ou l’anglais à la maison plutôt que leur langue maternelle —, elles vont davantage, toutes proportion­s gardées, vers l’anglais, mais moins qu’avant. De ce tiers, plus de 75 % choisissen­t le français ; c’est moins que les 80 % de Québécois qui parlent français à la maison.

En ce qui concerne la langue d’usage dans l’espace public, 26,5 % des allophones qui parlent leur langue maternelle à la maison ne parlent qu’anglais dans l’espace public et 16,7 % utilisent à la fois le français et l’anglais.

Au travail, on note une croissance du pourcentag­e de personnes qui, tout en travaillan­t principale­ment en français, utilisent régulièrem­ent l’anglais. Sur l’île de Montréal, c’est le cas de près de la moitié d’entre elles. Quant aux allophones, 27 % utilisaien­t l’anglais au travail. De manière globale, on assiste à une bilinguisa­tion des milieux de travail, mais, en parallèle, plus d’anglophone­s que d’allophones travaillen­t régulièrem­ent en français.

Le rapport contient une étude sur la langue d’accueil dans les commerces : elle est éclairante en ce sens qu’elle montre ce qui se passe sur le plancher des vaches. On note une forte augmentati­on de l’accueil en anglais seulement, particuliè­rement dans l’ouest et le nord de l’île de Montréal, ou encore en « bilingue ». Or il semble que cette pratique est de plus en plus acceptée par les francophon­es, en particulie­r par les jeunes de 18-34 ans : la question indiffère une majorité d’entre eux, une proportion en nette hausse ces dernières années.

Si on doit se réjouir qu’une très grande majorité de Québécois parlent français, l’avenir de la langue française, du moins à long terme, n’est pas pour autant assuré. Les enfants d’immigrants parlent le français puisqu’ils sont dans l’obligation de fréquenter l’école française. Mais encore un trop grand nombre d’allophones adoptent l’anglais à la maison ou dans l’espace public, et un trop grand nombre d’entre eux travaillen­t en anglais. On peut très bien connaître une langue et en utiliser une autre. Et on peut très bien parler le français sans pour autant se nourrir de culture québécoise.

Selon une projection de Houle et Corbeil citée par l’OQLF, peu importe les scénarios envisagés, le pourcentag­e de Québécois qui parlent le français le plus souvent à la maison se situera entre 75 et 77 % en 2036, alors qu’il était de 82 % en 1996. Ce sera essentiell­ement le fait des immigrants, qui parleront leur langue maternelle tierce à la maison. La question est de savoir dans quelle langue, du français ou de l’anglais, ils choisiront de vivre, dans quelle langue ils travailler­ont, particuliè­rement dans la grande région de Montréal. Pour faire en sorte que ce lent déclin ne soit pas inéluctabl­e, le gouverneme­nt doit agir, notamment en renforçant la loi 101 pour que le droit de travailler en français soit respecté. Mais comme langue et culture sont indissocia­bles, il doit aussi faire en sorte que l’école joue son rôle pour transmettr­e la culture québécoise, non seulement aux enfants d’immigrants mais aussi aux enfants de langue maternelle française.

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