Pour contrer le lent déclin
Onze ans après le dernier rapport complet sur la situation linguistique au Québec, qui doit être produit en principe tous les cinq ans, l’Office québécois de la langue française (OQLF) a publié finalement son dernier opus sous la pression de la ministre responsable de la langue française, Nathalie Roy. Le gouvernement libéral a tout fait pour gommer la réalité linguistique au Québec, ne retenant que les aspects positifs et édulcorant les données moins reluisantes, avec le concours complaisant de l’OQLF. Au moins, il y a un véritable rapport, comme l’exige la Charte de la langue française, qui a été rendu public. Certes, ce rapport quinquennal doit être remis au ministre en titre, mais il est dommage que le titulaire puisse décider à sa guise s’il doit être rendu public ou non et quand il doit l’être, le cas échéant.
Dans son communiqué, l’OQLF présente un bilan partagé — le verre à moitié plein ou à moitié vide —, en énumérant huit améliorations et autant de points négatifs décrits comme des « chantiers pour que le français continue d’être la langue commune au Québec ».
Parmi les éléments positifs, on note que 94 % des Québécois se disent capables de soutenir une conversation en français. C’est une donnée déjà connue, mais elle reflète le principal succès de la loi 101, c’est-à-dire la scolarisation en français des enfants d’immigrants, ainsi que la progression du bilinguisme chez les anglophones. En vingt ans, le pourcentage des Québécois de langue anglaise qui maîtrisent le français est passé de 69 à 77 %, et celui des Québécois de langue tierce, de 63 à 70 %.
Si on regarde les substitutions linguistiques — environ le tiers des immigrants allophones parlent le plus souvent le français ou l’anglais à la maison plutôt que leur langue maternelle —, elles vont davantage, toutes proportions gardées, vers l’anglais, mais moins qu’avant. De ce tiers, plus de 75 % choisissent le français ; c’est moins que les 80 % de Québécois qui parlent français à la maison.
En ce qui concerne la langue d’usage dans l’espace public, 26,5 % des allophones qui parlent leur langue maternelle à la maison ne parlent qu’anglais dans l’espace public et 16,7 % utilisent à la fois le français et l’anglais.
Au travail, on note une croissance du pourcentage de personnes qui, tout en travaillant principalement en français, utilisent régulièrement l’anglais. Sur l’île de Montréal, c’est le cas de près de la moitié d’entre elles. Quant aux allophones, 27 % utilisaient l’anglais au travail. De manière globale, on assiste à une bilinguisation des milieux de travail, mais, en parallèle, plus d’anglophones que d’allophones travaillent régulièrement en français.
Le rapport contient une étude sur la langue d’accueil dans les commerces : elle est éclairante en ce sens qu’elle montre ce qui se passe sur le plancher des vaches. On note une forte augmentation de l’accueil en anglais seulement, particulièrement dans l’ouest et le nord de l’île de Montréal, ou encore en « bilingue ». Or il semble que cette pratique est de plus en plus acceptée par les francophones, en particulier par les jeunes de 18-34 ans : la question indiffère une majorité d’entre eux, une proportion en nette hausse ces dernières années.
Si on doit se réjouir qu’une très grande majorité de Québécois parlent français, l’avenir de la langue française, du moins à long terme, n’est pas pour autant assuré. Les enfants d’immigrants parlent le français puisqu’ils sont dans l’obligation de fréquenter l’école française. Mais encore un trop grand nombre d’allophones adoptent l’anglais à la maison ou dans l’espace public, et un trop grand nombre d’entre eux travaillent en anglais. On peut très bien connaître une langue et en utiliser une autre. Et on peut très bien parler le français sans pour autant se nourrir de culture québécoise.
Selon une projection de Houle et Corbeil citée par l’OQLF, peu importe les scénarios envisagés, le pourcentage de Québécois qui parlent le français le plus souvent à la maison se situera entre 75 et 77 % en 2036, alors qu’il était de 82 % en 1996. Ce sera essentiellement le fait des immigrants, qui parleront leur langue maternelle tierce à la maison. La question est de savoir dans quelle langue, du français ou de l’anglais, ils choisiront de vivre, dans quelle langue ils travailleront, particulièrement dans la grande région de Montréal. Pour faire en sorte que ce lent déclin ne soit pas inéluctable, le gouvernement doit agir, notamment en renforçant la loi 101 pour que le droit de travailler en français soit respecté. Mais comme langue et culture sont indissociables, il doit aussi faire en sorte que l’école joue son rôle pour transmettre la culture québécoise, non seulement aux enfants d’immigrants mais aussi aux enfants de langue maternelle française.