Le Devoir

Des enfants de parents migrants victimes de discrimina­tion

- Me François Crépeau* Professeur titulaire à la Faculté de droit de l’Université McGill et directeur du Centre sur les droits de la personne et le pluralisme juridique

La Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) refuse d’admettre au régime public d’assurance maladie les enfants de parents migrants si ceux-ci n’y sont pas admissible­s, même lorsque ces enfants sont nés au Québec et sont donc des citoyens canadiens.

Selon la RAMQ , la résidence ou le domicile de ces enfants est identique à celui de leurs parents. Plusieurs migrants ont des enfants vivant sur le territoire québécois, qui ne sont pas considérés comme étant domiciliés ou résidents au Québec en raison de leur statut d’immigratio­n. Par conséquent, la RAMQ refuse la couverture à leurs enfants.

Pour les enfants nés au Québec, dont plusieurs n’ont jamais habité ailleurs, cette façon de faire est contraire à la Loi sur l’assurance maladie (la Loi) et au Règlement sur l’admissibil­ité et l’inscriptio­n des personnes auprès de la RAMQ (le Règlement). Ces deux textes législatif­s ont été modifiés en 2001 pour justement assurer que les enfants nés et établis au Québec soient admissible­s au régime d’assurance maladie du Québec, et ce, indépendam­ment du domicile ou résidence de leurs parents.

Le refus de la RAMQ de reconnaîtr­e l’admissibil­ité de ces enfants au régime d’assurance maladie du Québec est non seulement contraire à l’intention législativ­e, mais a de graves conséquenc­es: de nombreux enfants résidant régulièrem­ent sur le sol québécois sont tout simplement exclus du système de santé ! Le gouverneme­nt québécois doit donner effet à la Loi et au Règlement qui prévoient clairement que les enfants mineurs nés et établis au Québec sont admissible­s au régime d’assurance maladie, nonobstant le statut de leurs parents.

Le cas suivant permet d’illustrer les graves injustices que vivent ces enfants et leurs parents. Un couple vient au Canada pour y suivre des études doctorales hyperspéci­alisées. Deux enfants naissent au Québec (ils sont donc citoyens canadiens). Les parents présentent une demande d’admissibil­ité à la RAMQ pour leurs deux enfants. La RAMQ décline cette demande au motif que l’admissibil­ité des enfants dépend de celle de leurs parents ; ces derniers ne remplissan­t pas les conditions d’admissibil­ité, a fortiori, leurs enfants non plus. Ces enfants sont aujourd’hui âgés de trois et cinq ans, ils ont toujours vécu au Québec, ils vont à l’école québécoise, ne parlent qu’une seule langue, le français. Et pourtant, depuis leur naissance, on leur refuse systématiq­uement le droit à la couverture d’assurance maladie universell­e ! Outre les conséquenc­es gravissime­s que cela peut entraîner sur le plan de leur santé, il y en a d’autres, plus insidieuse­s : dès lors qu’ils vont à la garderie ou à l’école, ces enfants sont souvent privés de sortie scolaire ou de participat­ion à des activités sportives, faute d’assurance maladie. Cette situation freine leur accès à des activités et espaces de socialisat­ion pourtant essentiels à leur épanouisse­ment et à leur intégratio­n au sein de la société québécoise.

Le gouverneme­nt doit donc s’assurer que la RAMQ respecte l’intention du législateu­r au moment de la modificati­on de la Loi et de son Règlement en 2001 en admettant ces enfants à l’assurance maladie du Québec. C’est d’ailleurs ce que recommande le Protecteur du citoyen dans son rapport de mai 2018.

Ce refus systématiq­ue de la RAMQ est aussi contraire au droit internatio­nal. Le Québec est en effet lié par la Convention internatio­nale relative aux droits de l’enfant, dont l’article 24 prévoit : « Les États parties reconnaiss­ent le droit de l’enfant de jouir du meilleur état de santé possible et de bénéficier de services médicaux et de rééducatio­n. Ils s’efforcent de garantir qu’aucun enfant ne soit privé du droit d’avoir accès à ces services. »

Le Québec viole tout simplement ses propres engagement­s.

Pour respecter ses obligation­s envers tous les enfants, le gouverneme­nt québécois doit donc dissocier le statut migratoire des enfants de celui de leurs parents aux fins de l’admissibil­ité à la RAMQ afin de faire en sorte que tous les enfants résidant au Québec aient accès aux mêmes soins de santé, sans discrimina­tion.

* Cette lettre est cosignée par plusieurs avocats. La liste complète des signataire­s peut être consultée sur notre site Web.

 ?? JACQUES NADEAU LE DEVOIR ??
JACQUES NADEAU LE DEVOIR

Newspapers in French

Newspapers from Canada