Le Devoir

Mal de vivre

Un spectacle qui manque de clarté, mais certaineme­nt pas de conviction

- CHRISTIAN SAINT-PIERRE COLLABORAT­EUR

Alors qu’elle trouve sa source dans Le souffle de l’harmattan et Du mercure sous la langue, des romans de Sylvain Trudel parus respective­ment en 1986 et en 2001, la nouvelle pièce de Steve Gagnon s’inscrit parfaiteme­nt dans la feuille de route de celui qui nous a notamment donné Fendre les lacs et Os, la montagne blanche. On retrouve dans Pour qu’il y ait un début à votre langue la quasi-totalité des thèmes de prédilecti­on de l’auteur : l’adolescenc­e, la mort et la banlieue, mais surtout la quête de sens, la soif de rituels, le besoin d’indépendan­ce et le recours à la désobéissa­nce.

En 2008, dans une banlieue québécoise, Frédéric (Frédéric Lemay), 16 ans, se lie d’amitié avec Odile (Pascale Renaud-Hébert), une fille qui a du panache, et Wilson (Jonathan St-Armand), un garçon magnétique d’origine massaïe. Rêvant d’un ailleurs mythique, d’un exil qui les libère d’un quotidien tristement banal, les trois adolescent­s se reconnaiss­ent. Jusqu’au jour où, lors d’une cérémonie inspirée des racines de Wilson, la tragédie survient. En 2018, dans une chambre d’hôpital, Frédéric, 26 ans, condamné, attend la fin en silence — parce qu’il refuse de mourir dans la langue inutile de ses parents (Nathalie Mallette et Daniel Parent) et de ses grands-parents (Linda Laplante et Richard Thériault). Heureuseme­nt, le jeune homme adresse quelques mots à son infirmière (Claudiane Ruelland), mais surtout des plaidoyers enflammés à l’intention des spectateur­s.

Soutenue par une révolte qui galvanise, parsemée d’humour (surtout grâce à l’irrésistib­le Pascale RenaudHébe­rt), la représenta­tion est aussi minée par un mal de vivre qui frôle le mélodrame, un désespoir que des couches de dérision ne parviennen­t pas à tirer vers le haut. On assiste pendant plus de 120 minutes à une alternance entre les deux trames sans jamais être totalement convaincu de ce que l’une apporte à l’autre. Il y a la mère et la grandmère qui déploient leurs névroses, le père et le grand-père qui s’enfoncent dans le déni, Wilson qui perd peu à peu le contact avec la réalité et Odile qui garde la tête froide.

Jusqu’à la toute fin, en observant le chaos qui règne autour du lit d’hôpital, un dépotoir jonché de sacs plastique et de chariots de supermarch­é, d’électromén­agers et d’ordinateur­s désuets, on attend que les pièces du puzzle s’emboîtent, que les personnage­s gagnent en complexité. Heureuseme­nt, il y a les charges de Frédéric contre la société de consommati­on, des envolées qui font un bien fou. « Apprenez le mot indignatio­n et apprenez le mot résistance et écrivez-les sur les pierres de vos maisons, de vos écoles, de vos centres commerciau­x, qu’il y ait enfin un début à votre langue. »

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