Le Devoir

De la page aux planches

Les murailles, adaptation du roman d’Erika Soucy, réussit sa transposit­ion sur les planches du Périscope

- SIMON LAMBERT COLLABORAT­EUR À QUÉBEC

Adapter un roman pour la scène peut tenir du pari risqué, le danger étant grand de coller de façon trop intime à un texte produit pour une lecture tout autre. Les murailles, adapté du roman publié par Erika Soucy en 2016 et présenté au Périscope, évite cet écueil et passe le test des planches. La raison en est surtout les espaces de réécriture que le projet s’est ménagés afin de se délester de son origine littéraire.

Le visuel reste sobre, néanmoins. Pas d’images du Nord en renfort, ici, pas de fonds de scène évoquant le chantier de La Romaine, où prend place le récit. Désireuse de passer par l’imaginaire, à l’instar du roman, la mise en scène de Maxime Carbonneau offre pour principal décor des monolithes de projecteur­s empilés à même la scène, à la façon d’épinettes plantées dans l’espace. C’est sur la base des modulation­s lumineuses qu’on traversera les lieux de ce pèlerinage, bâti à coups de rencontres : des bureaux d’Hydro-Québec au chantier, en passant par la cantine, une minuscule chambre de travailleu­r ou le bar déserté.

C’est surtout aux cinq comédiens qu’il incombe de donner vie à ce périple nordique, celui d’une jeune poète nouvelleme­nt mère de famille sur les traces de son père.

La finesse en tête

La propositio­n passe évidemment beaucoup par les mots, alternant entre les dialogues et des passages narrés par Soucy, qui interprète ici son propre rôle.

La prose de cette dernière, qui possède déjà une forte facture orale, se transpose à la scène avec le plus grand des naturels. Et si l’enjeu était de dynamiser le récit, on y est parvenu notamment en rendant les échanges limpides et efficaces, réécrivant les segments retenus pour faire une meilleure place aux divers personnage­s, attachants et crédibles sous les bons soins d’une distributi­on juste.

À travers cette transposit­ion subtile mais efficace, on goûte alors une écriture sensible, entremêlée de répliques gouailleus­es et d’un humour sans gêne. Des espaces pour la poésie, aussi, seront troués à même la représenta­tion, qui, finalement, parvient à approcher les mêmes espaces qu’ouvrait le roman : un univers d’émotions brutes et de réclusion, un arrière-pays dépaysant où se déploie quand même une certaine banalité, le « gros ordinaire sale ».

Au passage, on grappiller­a quelques observatio­ns sur la place des femmes dans ce milieu d’hommes, pendant que se dessineron­t un rapport trouble aux Premiers Peuples et un certain portrait d’une région isolée, laissant la main-d’oeuvre à la merci d’une offre de travail réduite.

Le voyage, certes, passe en coup de vent, à la façon de cette courte semaine passée par l’auteure sur le chantier de La Romaine. Et dans ce contact limité, avec le père notamment, une musique plus appuyée jouera peut-être trop rapidement la ligne de la fierté pour cet homme retrouvé. Ce qui n’entache pas une plongée parsemée de rencontres dans lesquelles, par-delà le milieu rêche, trouve à se déployer une véritable tendresse.

Les murailles

Texte: Erika Soucy. Mise en scène: Maxime Carbonneau. Avec Gabriel Cloutier Tremblay, Philippe Cousineau, Éva Daigle, Jacques Girard et Erika Soucy. Une production de La Messe Basse, au Périscope jusqu’au 20 avril.

 ?? VINCENT CHAMPOUX ?? Pas d’images du Nord en renfort, ici, pas de fonds de scène évoquant le chantier de La Romaine, où prend place le récit. C’est surtout aux cinq comédiens qu’il incombe de donner vie à ce périple nordique.
VINCENT CHAMPOUX Pas d’images du Nord en renfort, ici, pas de fonds de scène évoquant le chantier de La Romaine, où prend place le récit. C’est surtout aux cinq comédiens qu’il incombe de donner vie à ce périple nordique.

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