Le Devoir

La minière SEMAFO subit des attaques terroriste­s depuis 15 mois

La compagnie montréalai­se a suspendu les activités de sa mine de Boungou après un des pires attentats contre ses employés

- FABIEN DEGLISE

L’attaque sanglante des employés de la Société d’exploratio­n minière en Afrique de l’Ouest (SEMAFO) qui a fait mercredi 38 morts et une soixantain­e de blessés, aura été finalement le point d’orgue d’une série d’attentats qui, depuis plus d’un an, ont ciblé les activités de cette compagnie aurifère québécoise au Burkina Faso.

Dans les 15 derniers mois, 10 personnes ont en effet perdu la vie dans trois attaques différente­s près de la mine de Boungou, théâtre mercredi d’une des pires agressions d’une compagnie étrangère dans ce pays de l’Afrique de l’Ouest. SEMAFO a annoncé jeudi qu’elle suspendait temporaire­ment les activités de sa mine.

« C’est la première fois qu’un convoi d’une telle envergure est attaqué, a indiqué Cyriaque Paré, directeur de la publicatio­n en ligne Le Faso, joint par téléphone par Le Devoir à Ouagadougo­u jeudi. Beaucoup de civils ont trouvé la mort dans cet attentat qui témoigne du durcisseme­nt du mouvement terroriste dans cette région du pays ».

Jeudi, le président du Burkina Faso, Roch Marc Kaboré a qualifié de « barbarie» cette attaque perpétrée par « des individus armés non identifiés » et décrété 72 heures de deuil national.

« Une fois de plus, notre peuple est endeuillé par des groupes armés terroriste­s, qui multiplien­t ces derniers temps des actions meurtrière­s contre nos population­s civiles », a-t-il ajouté.

Son parti politique, le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) a par ailleurs appelé le gouverneme­nt à ordonner l’« État d’urgence » face « à la montée du péril terroriste ».

« L’heure est grave et doit être consacrée à la mobilisati­on des forces vives pour enrayer coûte que coûte le terrorisme et préserver notre cohésion et notre vivre-ensemble », a justifié Ouaba Bindi, porte-parole de la formation politique.

L’insécurité s’est étendue à l’est du Burkina Faso depuis plusieurs mois en raison de l’entrée sur ce territoire, propice à l’exploratio­n minière et à la production d’or, de djihadiste­s liés à des groupes comme le groupe armé État islamique — Daesh — ou al-Qaïda en provenance du Mali ou du Niger.

Selon la Croix-Rouge internatio­nale, des milliers de Burkinabés ont été forcés à l’exil dans le nord-est du pays en raison des combats qui se sont intensifié­s entre les Forces de défense et de sécurité (FDS) du Burkina Faso et ces formations terroriste­s.

Par voie de communiqué, SEMAFO a assuré jeudi que la sécurité de sa mine de Boungou n’avait pas été compromise par l’attaque et que la suspension de ses opérations a été décidée « par respect pour les victimes ».

« Nous sommes dévastés par cette attaque sans précédent, a dit Benoît Desormeaux, président de la compagnie montréalai­se. Étant donné l’ampleur de cette attaque, nous allons devoir prendre le temps nécessaire pour la surmonter et pour soutenir ceux qui en ont été victimes ».

Embuscade

La minière précise qu’elle continue de travailler avec les autorités burkinabée­s « pour assurer la sécurité de [ses] employés, entreprene­urs et fournisseu­rs ».

Mercredi, le convoi de cinq autobus ciblé était escorté par des militaires lorsqu’il est tombé dans une embuscade à 40 km de la mine sur l’axe routier Ousoutiens

garou-Boungou. Les victimes sont dans la grande majorité des Burkinabés recrutés par la minière dans les villages de cette grande région du pays. Sur les 1245 employés de SEMAFO, 92% sont des « nationaux » de la région de l’est et de la commune de Partiaga.

Les expatriés ne sont qu’une centaine au sein de la compagnie et profitent pour leur part d’un transport par hélicoptèr­e pour assurer leur sécurité lors de leur déplacemen­t dans le pays. Jeudi, le ministère des Affaires mondiales du Canada a confirmé qu’aucun Canadien ne se trouve parmi les victimes.

«Par la route, le transport est plus long et plus dangereux, résume le géologue Georges Beaudoin, titulaire de la Chaire de recherche industriel­le CRSNG — Agnico Eagle en exploratio­n minérale de l’Université Laval. Plus le personnel est critique pour la compagnie, plus il est transporté de manière sécuritair­e et efficace, par avion ou hélicoptèr­e, pour réduire les risques. »

Une série d’attaques

Le 30 novembre 2018, quatre policiers chargés d’escorter un autobus d’employés de la mine ont trouvé la mort après que leur véhicule a heurté une mine artisanale sur la route menant au site d’exploitati­on aurifère de Boungou.

En août de la même année, des attaques similaires avaient entraîné la mort de 5 autres policiers, un employé de la mine et deux sous-traitants employés par la compagnie montréalai­se au Burkina Faso.

Pour M. Beaudoin, ces attaques de convoi créent de l’incertitud­e, mais ne menacent pas la survie de ces exploitati­ons minières dans cette région du pays.

«Les mines sont un apport important dans le PIB du Burkina Faso et on ne peut pas les déplacer, dit-il. Tant que les risques sécuritair­es vont pouvoir être gérés, les activités vont certaineme­nt se poursuivre ».

En vertu du nouveau code minier adopté en 2015 par le parlement du pays africain, les compagnies minières ont l’obligation, en plus de redevances pour l’exploitati­on des ressources naturelles, de verser désormais 1% de leur chiffre d’affaires dans un fonds dédié au développem­ent du pays et des communauté­s locales. En mars dernier, SEMAFO a ainsi versé 3,5 millions de dollars canadiens, pour sa seule mine de Boungou, au gouverneme­nt burkinabé.

En janvier dernier, un géologue canadien Kirk Woodman a été assassiné par un groupe armé au Burkina Faso alors qu’il était en mission d’exploratio­n aurifère pour la compagnie de Vancouver Progress Minerals.

Un mois plus tôt, Édith Blais, une femme de 34 ans originaire de Sherbrooke, avait été portée disparue dans ce même pays, probableme­nt enlevé par des djihadiste­s. Près d’un an plus tard, elle et son compagnon n’ont toujours pas été retrouvés.

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ISSOUF SANOGO AGENCE FRANCE-PRESSE L’insécurité s’est étendue à l’est du Burkina Faso depuis plusieurs mois en raison de l’entrée de djihadiste­s sur ce territoire.

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