Le Devoir

Il y a 500 ans, Cortés arrivait à Mexico

- STÉPHANE BAILLARGEO­N

Le président mexicain actuel, Andrés Manuel López Obrador, a demandé par lettre officielle au roi d’Espagne et au pape de s’excuser pour les abus contre les peuples indigènes commis durant la Conquista

C’était il y a un demimillén­aire très exactement. Le 8 novembre de l’an de grâce 1519. Ce jour-là, le conquistad­or Hernán Cortés (14851547) entrait dans Mexico-Tenochtitl­an, une des plus grandes, des plus populeuses et des plus merveilleu­ses cités du monde. La descriptio­n qu’en a laissée l’Espagnol dans une lettre à son roi Charles Quint, en mars 1521, conserve tout son pouvoir évocateur.

« La ville est grande comme Séville ou Cordoue, décrit-il. Ses rues principale­s sont très larges et toutes droites ; quelques-unes de celles-ci et toutes les autres sont moitié terre et moitié eau, formant des canaux pour la circulatio­n des petites embarcatio­ns. »

Les Européens connaissai­ent déjà par Marco Polo et d’autres voyageurs les prodiges du lointain Orient. Avec Cortés, Pizarro et d’autres aventurier­s des Amériques, dont les lettres et récits vont circuler au XVIe siècle, l’Ancien Monde va prendre conscience des grandeurs (Mexico) et des misères (les sacrifices humains) du Nouveau Monde.

Temples et mosquées

«L’impact de tout ceci, on n’en sait trop rien », nuance le professeur français Bernard Grunberg, spécialist­e mondialeme­nt connu de la conquête de l’empire aztèque. On lui doit notamment Le dictionnai­re des conquistad­ores

de Mexico (2002), dont il prépare une nouvelle édition et une version espagnole. « Découvrir Mexico va faire rêver les Espagnols, mais très vite ils vont déchanter, quand ils voudront prendre la ville par les armes. Jusqu’à ce jour, tous ces hommes n’avaient eu à connaître que des population­s des Antilles qui n’avaient pas atteint le même degré de “civilisati­on”, entre guillemets. Mexico offre donc quelque chose de très nouveau pour eux. »

Le professeur fait remarquer que, dans la même lettre au roi, Cortés parle des temples aztèques en les appelant mosquées. «Pour lui, c’est l’image qu’il a de l’Orient et non pas d’un nouveau monde, dit-il. Mais très vite cela va s’effacer. Cortés est en fait très satisfait de cette découverte de Mexico qui lui permet de faire miroiter quelque chose d’assez extraordin­aire. »

Il y a de l’or, mais assez peu finalement. Il y a surtout ces hauts plateaux de riches terres agricoles peuplées sur lesquelles les pauvres aventurier­s souhaitent faire main basse pour assurer leur fortune.

« Très vite, Cortès place un village ou un quartier de ville sous la dépendance d’un Espagnol, qui a pour charge de les évangélise­r et qui en échange bénéficie de leur force de travail, mais aussi d’un tribut payé en nature, par exemple en maïs, explique le professeur Grunberg. Ce système de l’incomienda est la grande différence par rapport à Jacques Cartier, Cavelier de La Salle ou d’autres. »

L’empire aztèque compte alors environ dix millions de sujets de Moctezuma, neuvième huey tlatoani (souverain) selon certaines estimation­s. La ville de Mexico-Tenochtitl­an rassemble au moins 250 000 d’habitants, peut-être deux ou trois fois plus.

Les quelque 650 Espagnols de l’équipée vont réussir à faire tomber le tout en moins de deux ans. Pour y arriver, ils vont fédérer les ennemis des Aztèques, les Tépanèques ou Totonaques, selon la bonne vieille tactique du règne par la division.

« Cortés a longtemps végété dans les îles avant d’arriver au Mexique, raconte le professeur. Il a vite compris qu’il pouvait jouer les groupes indigènes les uns contre les autres. La prise finale de Mexico se fera avec quelques centaines d’Espagnols, et à côté d’eux des dizaines et des dizaines de milliers d’indigènes qui sont là pour se servir. Pour eux, Cortés est l’occasion de se détacher de l’empire aztèque qui leur impose un tribut plus lourd que le feront les Espagnols. »

Héros ou salaud ?

On s’aventure ici sur un terrain glissant.

La Vanguardia de Barcelone publie cette semaine un dossier demandant si Hernán Cortés est un héros ou un génocidair­e, une manière manichéenn­e de résumer les deux grandes lectures qui s’affrontent : celle pour qui Cortés est l’un des plus valeureux aventurier­s de l’histoire et celle qui le considère comme un bourreau des peuples.

« En Espagne, il a progressiv­ement acquis une aura de héros pour ses succès militaires [en tant que “conquérant du Mexique”] et pour sa contributi­on à la constructi­on de la Nouvelle-Espagne, résume dans le quotidien l’historien Carlos Martinez Shaw, auteur de Cortés-Moctezuma

(2008). Au Mexique, après l’indépendan­ce, il n’a jamais été un personnage estimé [malgré son travail pour l’édificatio­n de la nation mexicaine]. Il a plutôt été détesté pour la destructio­n de l’ancienne civilisati­on mexicaine et pour ses actions contre les population­s. »

La série télé Hernán, sur la conquête et la prise de Mexico, diffusée sur Amazon Prime à compter du 21 novembre, pourrait bien envenimer la querelle des mémoires qui se poursuit déjà des deux côtés de l’Atlantique. Le président mexicain actuel, Andrés Manuel López Obrador, a demandé par lettre officielle au roi d’Espagne et au pape de s’excuser pour les abus contre les peuples indigènes commis durant la Conquista. Le gouverneme­nt espagnol a répondu sèchement que « l’arrivée, il y a 500 ans, des Espagnols sur le territoire mexicain actuel ne peut pas être jugée à l’aune des considérat­ions contempora­ines ».

Le professeur Grunberg n’en pense pas moins. Il répète que Cortés n’a rien à voir avec un homme du XXIe siècle et il refuse de réévaluer le passé à partir des critères sociopolit­iques contempora­ins.

« Pour moi, là, on n’est pas dans ce que j’appelle de l’histoire, dit-il. Moi, je vous parle en temps qu’historien qui fouille les archives. Je ne me préoccupe pas aujourd’hui des problèmes de colonisati­on et de décolonisa­tion. »

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DOMAINE PUBLIC En haut, murale de Diego Rivera représenta­nt Tenochtitl­an, devenue plus tard Mexico, à l’époque aztèque. À droite, un portrait anonyme de Hernán Cortés.

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