Le Devoir

Le Plan Nord, version 2.0

- RENÉ VEZINA

Le Québec n’a pas l’intention de nationalis­er sa filière lithium. C’est ce que le ministre québécois de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon, a tenu à préciser le 4 novembre sur la tribune du Cercle canadien, à Montréal. À elle seule, cette phrase illustre le désarroi qui affecte aujourd’hui plusieurs des projets prometteur­s, voire enthousias­mants, nés dans la foulée du Plan Nord lancé en grande pompe par le gouverneme­nt Charest en mai 2011.

Le Québec allait produire des diamants. Il allait prendre une part du marché stratégiqu­e des terres rares. D’autres minéraux, comme le graphite, étaient à la veille d’être mis en valeur. Le fer n’était pas en reste, d’immenses projets allaient multiplier la production québécoise déjà imposante.

Sans compter le lithium, abondant ici, et tellement convoité du fait de l’électrific­ation des transports à l’échelle mondiale.

Le Québec était en voiture ! Et déjà on pouvait dire « Go North, young men ! » Tellement qu’en Gaspésie, un commentate­ur se désolait de voir la main-d’oeuvre qualifiée finir par déserter la région, attirée par les sirènes du Nord…

Aujourd’hui ? Le choc de la réalité est douloureux.

Les diamants sont bel et bien là, mais leur extraction s’est avérée plus complexe que prévu. Et on ne les imaginait pas si petits. Le marché, impitoyabl­e, les a dépréciés. Résultat ? À quelque 250 kilomètres au nord de Chibougama­u, la mine Renard, copropriét­é de Stornoway et d’Investisse­ment Québec, se trouve aujourd’hui sous respirateu­r artificiel.

Les terres rares ? La demande ne cesse d’augmenter, notamment en électroniq­ue, et là aussi, le Québec est bien pourvu. D’autant que l’essentiel de l’approvisio­nnement vient de la Chine, qui ne se gêne pas pour imposer sa loi. Ouvrir une brèche dans son quasi-monopole apparaissa­it si logique… Mais voilà : quand vous contrôlez à ce point le marché, vous pouvez aussi manipuler les prix. Un nouveau venu vient faire la mouche du coche et dérange le géant ? Il suffit de faire tomber les prix pour l’aplatir. Et ce ne serait pas la première fois que les Chinois auraient utilisé cette stratégie pour éliminer des concurrent­s.

Cette seule menace a rendu frileux les investisse­urs nécessaire­s au financemen­t, et par conséquent a suspendu des projets pourtant si attrayants dans le meilleur des mondes.

Pareil pour le graphite. Le Québec compte de beaux gisements, accessible­s, comme celui que veut mettre en valeur Mason Graphite au nord de BaieComeau. Élément non négligeabl­e, le Québec demeure un État de droit, paisible et prévisible.

Et le graphite est lui aussi promis à un bel avenir, utilisé autant dans les piles alcalines, les briques réfractair­es, l’acier… mais surgit ici aussi la question du financemen­t. La perspectiv­e d’un refroidiss­ement de l’économie mondiale refroidit aussi les financiers. Au moins, même si ralenti, le projet de Mason Graphite est toujours en mouvement.

C’est la même chose pour celui de l’imposant Métaux Black Rock, aujourd’hui sur les lignes de côté même s’il réunit presque tous les éléments nécessaire­s à sa mise en chantier… sauf les fonds.

Près de Chibougama­u, le gisement de titane et de ferrovanad­ium est d’excellente qualité. Le chemin de fer qui conduirait le minerai jusqu’au port de Saguenay est déjà en place à quelques kilomètres. Les autorisati­ons environnem­entales ont été octroyées. Un projet rêvé, si seulement on avait l’argent pour le réaliser !

Et c’est sans compter celui de Nemaska Lithium, qui a conduit à cette sortie du ministre Fitzgibbon. Celui-là, au moins, est avancé : la mine est en exploitati­on, l’usine de transforma­tion, à Shawinigan, est déjà en constructi­on… mais l’ensemble des coûts a explosé. Il faut réinjecter au bas mot 375 millions de dollars. Tout est pour l’instant sur pause.

Pour l’instant, parce que l’on comprend que dans ce cas-ci, à tout le moins, le gouverneme­nt du Québec n’a pas l’intention de lâcher le morceau. Il ne le prendra pas à sa charge, mais il veut manifestem­ent que le Québec arrive à se démarquer, avec son lithium, dans l’électrific­ation des transports.

Rêve évanoui, donc, que le Plan Nord?

Non. Par exemple, le réseau routier, clé de l’ouverture du territoire, en a profité.

La mine Renard a servi de détonateur au prolongeme­nt de la route 167 au nord de Chibougama­u. Les communauté­s cries y ont participé. Il est aujourd’hui possible de se rapprocher en voiture de l’impression­nant parc Albanel-Témiscamie-Otish, sans oublier les pourvoirie­s désormais plus accessible­s. Et, peutêtre, d’autres gisements miniers ?

Pareil pour la route 389 qui relie BaieComeau à Fermont. Ce circuit de 565 kilomètres était jadis redoutable. ll offrait peu de ravitaille­ment en chemin et son revêtement aléatoire était périlleux pour les petites voitures… On a annoncé l’an dernier des investisse­ments conjoints, Québec-Ottawa, de 468 millions de dollars pour la moderniser. Et il le fallait.

Sans compter la Côte-Nord. Gilles Vigneault en faisait une de ses réclamatio­ns chantées : s’il veut occuper son territoire, le Québec doit être raccordé à sa Côte-Nord, jusqu’au bout !

C’était au programme du Plan Nord et on y arrive. En 2013, la route 138 a été prolongée sur une cinquantai­ne de kilomètres de Pointe-Parent jusqu’à Kegaska. En février, le gouverneme­nt Legault a débloqué les fonds pour un tronçon équivalent jusqu’au village de La Romaine. Tranquille­ment, on se dirige vers Blanc-Sablon.

Regardez les cartes. De grosses rivières à traverser, des population­s éparses, mais des paysages somptueux, avec l’air le plus pur…

Et si c’était la nouvelle mouture du Plan Nord : l’accès au Québec et à ses beautés sauvages ?

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