Moment charnière pour le Brexit
Le Royaume-Uni élira un nouveau gouvernement le 12 décembre, moins de 120 jours après l’entrée en fonction du premier ministre, Boris Johnson.
Des huit principaux partis, seulement deux sont favorables à une sortie de l’Union européenne (UE) indépendamment de l’accord transitoire proposé : les conservateurs de Boris Johnson, qui s’engagent à mettre en oeuvre l’entente conclue en octobre et à ne pas prolonger cette période transitoire au-delà de décembre 2020, puis le Brexit Party de Nigel Farage, dont la préférence demeure celle d’une sortie sans accord, mais qui laisse le champ libre aux conservateurs dans les circonscriptions remportées par ces derniers en 2017.
L’arrivée de Johnson à la tête des conservateurs et du pays a donc tout changé. Son entrée en poste a lancé une remontée des conservateurs ayant lourdement fait chuter le Brexit Party. La tactique de Johnson a été de placer les Européens devant un choix clair : renégocier l’entente conclue par Theresa May, dont le filet de sécurité nord-irlandais, ou provoquer une sortie sans accord.
Voilà une posture combative que May n’avait jamais favorisée, n’ayant à l’esprit que d’imposer, conformément à sa propre europhilie, mais heureusement sans succès, une entente qui aurait pérennisé la subordination du pays à l’UE, au marché unique et à l’union douanière.
Or, près des trois quarts des Britanniques ayant voté Leave en 2016 sont ouverts à l’idée d’un no-deal. Johnson a donc visé juste. En indiquant à l’UE qu’un no-deal n’est aucunement exclu, il parle au nom d’une réelle masse populaire. Il faut dire que les élections européennes de mai et les cinq millions de voix accordées au Brexit Party avaient envoyé un signal en ce sens. Que Johnson ait réussi à rassembler ainsi alors que May avait fait l’unanimité contre elle n’est donc pas si surprenant lorsqu’on réalise à quel point le pays a évité la catastrophe de peu.
Actuellement, le Royaume-Uni doit harmoniser ses politiques avec un ensemble dont ses structures économiques tendent à l’éloigner. Ses intérêts propres ainsi que les mouvements structurels de son import-export le poussent à diversifier ses relations commerciales, alors qu’il demeure soumis à des stratégies macroéconomiques, commerciales et tarifaires européennes qui servent prioritairement l’Allemagne. Pourtant, l’entente signée par Theresa May aurait enfermé le Royaume-Uni au sein du marché unique et de l’union douanière tout en octroyant à l’UE un veto sur la souveraineté britannique.
Durant la période transitoire suivant l’entrée en vigueur du Brexit, le pays aurait en effet été de facto assujetti au marché unique et à l’union douanière indéfiniment, soit jusqu’à ce qu’un accord économique global permettant l’absence de contrôles douaniers irlandais soit approuvé à l’unanimité. Ainsi, tout membre de l’UE défavorable à un éventuel accord ou considérant contraire à ses intérêts que le Royaume-Uni s’émancipe du marché unique et de l’union douanière aurait pu, aussi longtemps que les pressions bruxelloises ne l’en auraient empêché, opposer un veto à cet accord, et par le fait même, à l’autonomie du Royaume-Uni.
Boris Johnson a mis un terme à cette absurdité : selon la nouvelle entente, c’est l’Irlande du Nord et non le pays entier qui demeurera de facto assujettie au marché unique et à l’union douanière si un accord global ne peut être conclu d’ici la fin 2020. De plus, l’Assemblée nord-irlandaise, plutôt que les UE-27, aura le pouvoir d’abroger ce statut à partir de 2025 s’il s’avérait nécessaire jusque-là. Voilà pourquoi les conservateurs obtiendront probablement une majorité le 12 décembre.
L’accord Johnson aurait des coûts économiques immédiats plus importants que ceux de l’entente précédente. Toutefois, la fin de la coordination avec l’UE en matière de subventions industrielles, de concurrence, de fiscalité, de politiques sociales et de droit du travail, doublée d’une récupération rapide de l’autonomie commerciale du Royaume-Uni, permettra des politiques industrielles volontaristes susceptibles de contrebalancer les effets délétères du Brexit. C’est d’ailleurs exactement ce que propose le nouveau Parti conservateur sous Johnson, plus nationaliste que néolibéral, dans sa plateforme électorale.