Le Devoir

La Russie exclue des Jeux olympiques pour quatre ans | B6

L’Agence mondiale antidopage a banni lundi la nation russe des JO et de la Coupe du monde de soccer

- MAGDALINE BOUTROS Avec Agence France-Presse

La sanction est historique, mais parviendra-t-elle réellement à redresser un milieu gangrené par des décennies de tricherie? Dans une décision qui était âprement attendue, l’Agence mondiale antidopage (AMA) a banni lundi la Russie des Jeux olympiques et de la Coupe du monde de soccer pour quatre ans. Une semonce — certaineme­nt plus mordante que la précédente, mais pas encore assez sévère pour certains — visant à punir Moscou pour avoir une nouvelle fois récidivé dans cette saga, tout aussi interminab­le que sidérante, du dopage institutio­nnalisé des athlètes russes.

Le geste cette fois reproché ? Début 2019, la Russie devait transmettr­e à l’AMA des milliers de données brutes de contrôles antidopage stockées dans les serveurs de l’agence antidopage Rusada afin de permettre la levée des précédente­s sanctions. La police mondiale antidopage souhaitait ainsi obtenir les contrôles positifs d’athlètes qui avaient été jusque-là camouflés par le laboratoir­e étatique russe. Avec ces données en main, l’AMA aurait pu sanctionne­r d’autres sportifs russes. Or, les experts informatiq­ues de l’AMA ont découvert que les données transmises par les autorités russes avaient subi de nombreuses altération­s. Des « centaines » de résultats suspects ont notamment été effacés.

À la suite de la décision adoptée à l’unanimité à Lausanne par le comité exécutif de l’AMA, le président de l’agence mondiale, Craig Reedie, n’a pas mâché ses mots envers le pays récidivist­e. « La Russie a eu toutes les occasions de mettre de l’ordre dans ses affaires et de se joindre de nouveau à la communauté antidopage mondiale pour le bien de ses sportifs et de l’intégrité du sport, mais elle a choisi de continuer dans sa position de tromperie et de déni. »

« Hystérie antirusse », a dénoncé le premier ministre russe, Dmitri Medvedev. « Enfin », a soufflé le lanceur d’alerte Grigori Rodtchenko­v, ancien directeur du laboratoir­e antidopage russe, exilé aux États-Unis, qui avait permis la mise au jour du système de dopage russe dans lequel auraient trempé au moins un millier d’athlètes de 2011 à 2015.

Soulagemen­t

Au Canada, comme ailleurs dans le monde, la nouvelle a été accueillie avec un soupir de soulagemen­t. « On espérait cette décision-là », a déclaré au Devoir Jean-Luc Brassard, médaillé d’or aux Jeux olympiques de 1994 à l’épreuve de bosses en ski acrobatiqu­e. Une décision moins forte aurait marqué « le début de la fin » pour le mouvement olympique, estime-t-il. « Ça fait huit ans que le système russe de dopage athlétique mène littéralem­ent l’AMA en bateau. »

Dans sa décision rendue lundi, l’AMA permet toutefois aux sportifs russes qui auront montré patte blanche de participer aux Jeux olympiques de Tokyo en 2020 et de Beijing en 2022, mais sous «drapeau neutre ». Quant à l’hymne national russe, il ne pourra retentir ni aux Olympiques ni à tout championna­t du monde pendant la période de pénitence. Et la Russie ne pourra accueillir des compétitio­ns internatio­nales en son sol. L’agence antidopage Rusada peut encore faire appel de la décision devant le Tribunal arbitral du sport.

Pas assez sévère

Le champion du monde de ski de fond Alex Harvey espérait, lui, des sanctions encore plus sévères. «Ça ressemble beaucoup à ce qu’on avait vu aux Jeux olympiques de 2018. Sur papier, ça sonne très bien, mais sur le terrain, ça change pas grand-chose. La Russie n’est pas représenté­e officielle­ment, mais les athlètes russes étaient pratiqueme­nt tous présents. »

Le récent brouillage des données russes rendra vraisembla­blement toute sanction impossible à l’encontre de 145 athlètes russes qui se trouvaient dans le collimateu­r de l’AMA. Incidemmen­t, les médailles, peut-être gagnées frauduleus­ement, ne pourront être remises aux athlètes s’étant butés au pied du podium.

C’est possibleme­nt le cas d’Alex Harvey qui avait terminé 4e à l’épreuve de 50km de style classique aux Jeux de Pyeongchan­g, tout juste derrière le Russe Andrey Larkov, qui ne figurait pas parmi les favoris de l’épreuve d’endurance. « Certaineme­nt, il y a des doutes [quant au dopage], mais je n’ai aucune

La Russie a eu toutes les occasions de mettre de l’ordre dans ses affaires [...] mais elle a choisi de continuer dans sa » position de tromperie et de déni CRAIG REEDIE

preuve tangible. Quand on regarde comment le système russe fonctionne, c’est pratiqueme­nt impossible de ne pas avoir de doutes », souligne Harvey.

L’athlète olympique — qui dit ne pas s’attendre à recevoir un jour une médaille par la poste — affirme néanmoins être serein face aux événements. « J’ai contrôlé les choses que je pouvais contrôler. Et c’était une de mes meilleures performanc­es à vie. La médaille était avant tout une source de motivation pour amener mon entraîneme­nt et mes performanc­es au plus haut niveau possible. »

Système corrompu

Les conséquenc­es de la tricherie russe sont donc là, un peu partout dans le monde, relève Jean-Luc Brassard. Et la Russie n’est pas la seule à se moquer des règles. Les exemples sont sous notre nez, depuis des années. Lance Armstrong s’est fait tester 500 fois dans sa carrière avant que celle-ci ne vole en éclats pour dopage, l’Associatio­n internatio­nale de boxe amateur a élu à sa présidence l’an dernier un présumé trafiquant internatio­nal d’héroïne et le fondeur autrichien Max Hauke a été filmé il y a quelques mois à peine se faisant une transfusio­n sanguine.

Quelques exemples que Jean-Luc Brassard, désabusé, cite au passage, évoquant une famille olympique qui ressemble aujourd’hui davantage à une « vieille famille sicilienne ».

Car le sport internatio­nal, c’est aussi une histoire de politique et de gros sous. Et la Russie sait jouer de son influence. Un tiers des fédération­s internatio­nales de sports olympiques d’été comptent un représenta­nt russe dans leurs comités exécutifs. Deux richissime­s hommes d’affaires russes, Vladimir Lissine et Alisher Ousmanov, dirigent les fédération­s internatio­nales de tir et d’escrime. Les multinatio­nales russes de l’énergie (Gazprom) et du secteur bancaire (VTB) commandite­nt des fédération­s internatio­nales sportives. Sans oublier que le président russe, Vladimir Poutine, est toujours président honoraire de la Fédération internatio­nale de judo. Et la Russie lève souvent la main pour organiser des compétitio­ns internatio­nales, alors que les candidats ne se bousculent pas.

« Il faut aujourd’hui regarder les Jeux olympiques comme on regarde une téléréalit­é, pour avoir du divertisse­ment, mentionne Jean-Luc Brassard. Celui ou celle qui va gagner, c’est celui ou celle qu’on va avoir décidé de faire gagner. »

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MATT SLOCUM ASSOCIATED PRESS Les conséquenc­es de la tricherie russe sont donc là, mais la Russie n’est pas la seule à se moquer des règles.

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