Le Devoir

Le Devoir à la rencontre du successeur de Morales

À 30 ans, le politicien pourrait représente­r le MAS aux prochaines élections, mais garde la tête froide

- FABIEN DEGLISE À COCHABAMBA, BOLIVIE

Monica, la jeune vingtaine, est arrivée très tôt samedi matin au grand rassemblem­ent du Movimiento al Socialismo (MAS) à Cochabamba, dans le centre de la Bolivie. Wiphala en main, ce drapeau symbole des peuples indigènes des Andes, elle a écouté avec attention les appels à l’unité et à la mobilisati­on, mais attendait surtout l’arrivée au micro du jeune homme en t-shirt blanc sur les photos : Andrónico Rodríguez, jeune producteur de coca dans la région du Chapare, au centre du pays.

« C’est lui qui va être le prochain président, a-t-elle assuré avec un sourire gêné. Il est humble. Il se préoccupe des gens simples et sait comment leur parler. »

Dans le colisée José Castro Méndez, plein à craquer de partisans du MAS venus de toutes les régions de la Bolivie pour préparer l’offensive politique après la chute d’Evo Morales, premier président indigène bolivien, renversé il a deux semaines par un coup de force politique de l’opposition, Monica n’était visiblemen­t pas la seule à le penser.

Une acclamatio­n nourrie dans une mer de drapeaux a accompagné l’arrivée à la tribune du jeune politicien pour qui Evo Morales n’a, depuis des années, que de bons mots. « Ça m’a dépassé un peu, explique Andrónico Rodríguez, rencontré le lendemain dans le hall d’un hôtel de la ville andine. Je suis venu ici sans anticiper une telle réaction. J’ai un rapport très simple et très honnête avec les gens et c’est peutêtre ce qui génère tout ça. »

Dans la nouvelle course à la présidence en Bolivie, après l’annulation du dernier scrutin suspecté de fraudes, Andrónico Rodríguez, vice-président des Six fédération­s syndicales paysannes des producteur­s de coca du Chapare (organisme présidé par Evo Morales), part avec une petite longueur d’avance, lui qui a souvent été présenté comme le successeur naturel du président déchu.

Pas de succession « héréditair­e »

Samedi, un sondage de la firme bolivienne Mercados y Muestra pour le compte du journal Página Siete le plaçait en tête des candidats du MAS les plus appréciés des Boliviens pour remplacer Evo Morales, à 17 %. Devant la jeune sénatrice massiste Adriana Salvatierr­a (9 %) et l’ancien ministre de l’Économie Luis Arce Catacora (7 %), que l’on présente ici comme le responsabl­e du miracle économique bolivien des années Morales.

Mais quand on demande malicieuse­ment à Andrónico Rodríguez si, en lui parlant, on est en train de s’adresser au prochain président bolivien, le principal intéressé esquive la question. « Il n’y a pas de succession “héréditair­e” au sein du MAS», explique le jeune homme qui, pour se rendre jusqu’à notre lieu de rencontre, a dû franchir, en sortant de l’ascenseur, un nuage de jeunes filles espérant prendre un égoportrai­t avec lui.

«Le MAS repose sur une structure syndicale. Ceux qui décident, ce sont les organisati­ons de la base. Ce sont elles qui vont choisir les candidats, de manière organique », et le faire partout au pays, dans les prochaines semaines et jusqu’au début de la nouvelle année.

Issue du choix incertaine

Pour le sociologue spécialist­e des mouvements populaires en Bolivie, Fernando Mayorga, l’issue du choix en marche est toujours incertaine. Mais il reconnaît que le personnage, qui vient tout juste d’avoir 30 ans, l’âge minimal pour aspirer au poste de président en Bolivie, ne manque pas de charisme et de solidité pour poursuivre une ascension commencée très jeune dans le mouvement des syndicats de paysans du centre du pays.

« Pour qu’un jeune de son âge arrive à la tête des Six fédération­s des producteur­s de coca du Chapare, cela prend de très grandes capacités de leadership, de direction et de conciliati­on », dit-il.

Samedi, dans la touffeur du colisée de Cochabamba, sous des cris d’appui soutenus, le jeune universita­ire formé en science politique à l’université publique de Cochabamba, en a fait la démonstrat­ion avec un discours appelant à « l’unité et à la mobilisati­on » pour résister à la « dictature fasciste » qui s’est installée par la force en Bolivie, selon lui. « Evo est là avec nous, a-t-il lancé à la foule. Nous sommes tous avec Evo », la figure historique du MAS, désormais en exil, qui, insiste le MAS, s’est fait voler sa dernière victoire électorale par « les mouvements civiques de la droite radicale ».

« L’idée de la fraude électorale a été installée dans les esprits avant même le début du vote, analyse Fernando Mayorga. La chute d’Evo Morales s’est inscrite dans un plan particuliè­rement bien orchestré par cette opposition, avec la complicité de l’Organisati­on des États américains, des États-Unis, du Brésil… qui nous ont rapprochés dangereuse­ment de la guerre civile. »

En novembre dernier, un rapport indépendan­t du Center for Economic and Policy Research de Washington a confirmé en effet « qu’aucune irrégulari­té ou fraude n’a été détectée » après analyse des derniers résultats électoraux, reconnaiss­ant ainsi la victoire au premier tour à Evo Morales.

Mais en Bolivie, le sentiment de fraude reste encore, en dehors des milieux politiques pro-Morales, une certitude exposée comme un traumatism­e.

Dans les circonstan­ces, Andrónico Rodríguez sait que le chemin qui lui reste à parcourir va être aussi sinueux et dangereux que ceux qui mènent à certains endroits sur les hauts plateaux de la Bolivie. Et pas seulement en raison des menaces de mort et de l’intimidati­on dont il se dit victime. Dimanche, un groupe de motoqueiro­s, des jeunes radicaux circulant en meute et en moto dans les rues de Cochabamba, lui a envoyé un message audio pour lui dire qu’ils espéraient le croiser dans la rue, car ils avaient « un cadeau pour lui ».

En provenance de ces groupes d’inspiratio­n paramilita­ire, vertement opposés au MAS depuis le début des hostilités, et dans un pays au calme toujours précaire, le sous-entendu est facile à saisir.

La classe moyenne

« Le défi est très grand, admet Rodríguez en entrevue. Nous devons nous rapprocher de la classe moyenne que les années Morales ont fait émerger et qui désormais semble avoir oublié son origine. Et puis, il y a les jeunes, qui depuis trop longtemps ont été relégués au second plan.

Même Evo Morales, à quelques occasions, n’a pas pris assez en compte les aspiration­s de cette jeunesse. Il a reconnu tardivemen­t que l’énergie et la force étaient là », manquant ainsi sa sortie et la chance de former une relève que la tragédie politique des derniers jours fait désormais apparaître.

Dans son bureau de l’assemblée départemen­tale de Cochabamba où elle siège, la jeune politicien­ne Lineth Villarroel Panozo, membre du parti de la présidente autoprocla­mée de la Bolivie, Jeanine Áñez, est capable de reconnaîtr­e la valeur de la candidatur­e d’Andrónico Rodríguez à la tête du MAS, mais estime aussi qu’il va avoir une « responsabi­lité importante » face à sa génération.

« Il doit reconstrui­re un parti que les décisions passées d’Evo Morales ont détruit, dit-elle. Il va avoir le choix de suivre la même ligne désastreus­e ou de rénover réellement le leadership du mouvement pour le faire entrer dans la modernité. »

En Bolivie, le MAS peut compter sur l’appui de 35 à 40 % de la population, principale­ment des population­s indigènes des hauts plateaux, à qui Evo Morales a donné une voix et une reconnaiss­ance politique. Il a toutefois perdu l’appui des population­s indigènes des plaines, qui trouvaient ses politiques pas assez inclusives et son style de gestion un peu trop autoritair­e.

« La force du MAS, c’est depuis toujours l’unité des mouvements sociaux, dit Andrónico Rodríguez. Et c’est encore cette unité qui va être ce rempart face au fascisme. »

Devant Monica, et les 10 000 partisans du MAS rassemblés à Cochabamba, le jeune politicien a appelé la jeunesse à réagir face à la crise politique en cours, mais a aussi admis que des fissures étaient apparues au sein du mouvement, en soulignant même que des personnes présentes à la tribune ne méritaient pas d’être là, en raison de « trahisons passées ».

Des accusation­s que le politicien va devoir justifier, sans doute, lors de ses rencontres avec les organisati­ons syndicales qui, dans toutes les villes du pays, l’ont invité à s’adresser à leurs membres. « On m’a donné le mandat de renforcer l’unité des Six fédération­s de producteur­s dans tous les départemen­ts, dit-il. Dans ces départemen­ts, les gens vont aussi discuter du choix du prochain binôme présidenti­el [président et vice-président]. Plusieurs noms circulent, dont le mien », reconnaît-il, sans vraiment s’enorgueill­ir de la chose.

Ce reportage a été financé grâce au soutien du Fonds de journalism­e internatio­nal Transat-Le Devoir.

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FABIEN DEGLISE LE DEVOIR Lors du grand rassemblem­ent du Movimiento al Socialismo (MAS) à Cochabamba, dans le centre de la Bolivie, beaucoup de gens attendaien­t l’arrivée d’Andrónico Rodríguez, jeune producteur de coca.

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