Le Devoir

Hollywood investira plus au Québec, promet Legault

Le premier ministre a offert aux grands studios un nouvel « incitatif » en échange d’un engagement à effectuer des tournages au Québec sur une période minimale de trois ans

- MARCO BÉLAIR-CIRINO À LOS ANGELES LE DEVOIR

Le premier ministre François Legault promet que les retombées de sa tournée des studios de cinéma et de télévision de Los Angeles seront considérab­les au cours de la prochaine année. « Des centaines de millions de dollars », a-t-il lancé au terme d’une série de rencontres.

Le complexe principal de The Walt Disney Company, dont la toiture est soutenue par sept nains, s’élevait derrière lui. M. Legault y avait été accueilli une heure plus tôt par les présidents de Disney Studios, Alan Horn et Alan Bergman, ainsi que des dirigeants de 21st Century Fox, Marvel et ABC Studios.

« Je vais vous faire une offre que vous ne pourrez refuser », leur a-t-il lancé, tout en s’avançant dans la place Legends. Mickey et Minnie l’épiaient du coin de l’oeil. Le chef du gouverneme­nt québécois a été invité à « parler business » dans une salle de conférence devant laquelle un canon britanniqu­e datant du XVIIIe siècle utilisé dans la série Le pirate des Caraïbes était posé.

M. Legault a répété la même phrase empruntée au parrain Corleone, tantôt dans les installati­ons de Sony Pictures,

tantôt dans celles de NBCUnivers­al. À tous, il a offert un nouvel « incitatif » qui prendra la forme d’« un pourcentag­e des retombées prévues au Québec » en échange d’un engagement à effectuer des tournages au Québec sur une période minimale de trois ans.

« Je suis confiant qu’on va être capables de convaincre certains d’entre eux de signer des ententes sur trois ou cinq ans pour faire plus de production­s au Québec », a-t-il affirmé, convaincu de conclure des « deals gagnant-gagnant : gagnant pour l’entreprise, gagnant pour les Québécois en retombées ».

« Dans chaque réunion, il y avait des gens qui venaient des finances, alors on parlait le même langage », a précisé l’ex-homme d’affaires.

Les plateforme­s de diffusion de contenu en continu n’étaient pas en reste dans l’itinéraire de M. Legault. Le premier ministre s’est évertué à les convaincre de travailler sur une base régulière à Montréal. « Nous sommes heureux d’en discuter », a répondu poliment un patron de Netflix, plateforme à laquelle des centaines de milliers de Québécois sont abonnés.

Quelques rires ont retenti dans le hall de la multinatio­nale. Ne se laissant pas démonter, M. Legault a vanté les talents québécois en production cinématogr­aphique et télévisuel­le.

«Nous sommes bien meilleurs que Toronto et Vancouver. Mes amis John Horgan et Doug Ford ne seraient pas contents de m’entendre, mais c’est vrai : meilleure qualité, meilleur prix, meilleur tout ! » a-t-il déclaré avant d’être invité à monter dans un ascenseur par le vice-président production­s internatio­nales originales, Steve Squillante.

Le premier ministre a dit à la presse souhaiter voir un studio Netflix ouvrir à Montréal.

«On veut dire à Netflix: […] venez produire au Québec avec des employés québécois, créez des emplois payants au Québec. Ce sont des emplois de 75 000, 100 000 [dollars] par année », a-t-il dit, tout en précisant que les studios paieraient malgré tout moins cher pour leur main-d’oeuvre au Québec qu’en Californie.

Il était pour l’occasion accompagné par le président fondateur de Rodeo FX, Sébastien Moreau. Le studio québécois a été retenu par Netflix comme principal partenaire d’effets visuels pour la quatrième saison de Stranger Things, a-t-on appris au terme de la visite primo-ministérie­lle. L’entente assure le maintien de 100 à 150 emplois

— bien rémunérés, selon M. Legault — au Québec.

Avertissem­ent de Jean-Marc Vallée

Le réalisateu­r en vogue Jean-Marc Vallée s’est réjoui de voir le chef du gouverneme­nt québécois — avec qui il a cassé la croûte lundi midi — se déplacer à Los Angeles afin de rencontrer les acteurs du milieu du cinéma et de la télévision.

« Il y a un effort à faire. Et je pense que Monsieur Legault est en train de le faire », a-t-il dit, assis au fond d’un restaurant branché de Culver City.

La stratégie consistant à faire miroiter aux studios des salaires plus bas à Montréal qu’à Los Angeles n’est toutefois pas sans risques, a-t-il expliqué aux journalist­es.

« [Il y a] une surenchère au niveau des salaires. Nos artistes d’effets visuels se retrouvent à avoir des offres impression­nantes de ces boîtes-là. Mais là, nos boîtes comme FX Studios perdent un peu de leurs joueurs. Je pense qu’il y a une réflexion à avoir pour avoir une espèce d’équilibre entre “on attire les étrangers” et “on conserve ce qu’on doit conserver à Montréal” », a suggéré M. Vallée avant de partager un repas avec le couple Legault-Brais.

Les demandes étaient souvent différente­s d’un studio à l’autre, a souligné M. Legault à la presse.

« Il y en a qui veulent qu’on rembourse une partie de la formation des employés. Dans d’autres cas, ils voudraient qu’on améliore certains studios et qu’on en paie une partie. Dans d’autres cas, c’est directemen­t des incitatifs en fonction des salaires… » a-t-il expliqué.

Le milieu québécois inquiet

L’Associatio­n québécoise de la production médiatique (AQPM) observait non sans inquiétude le déroulemen­t de la deuxième journée de mission économique de M. Legault en Californie.

La p.-d.g. de l’AQPM, Hélène Messier, a invité le premier ministre à assurer la survie de la production locale au Québec avant d’y attirer la production étrangère.

« À Vancouver, ils ont misé sur la production de service [attirer des producteur­s étrangers], et ils ont détruit la production nationale. C’est comme être sous-traitant. Et c’est un peu ce que M. Legault veut faire. Il dit : venez utiliser nos studios, nos technicien­s, nos effets. Alors que nous, au Québec, nos production­s nationales sont tellement sous-financées qu’on n’a même pas les moyens de s’offrir ces effets visuels dans nos production­s, ou de compétitio­nner des salaires subvention­nés », a-t-elle déclaré dans une entrevue avec Le Devoir à Montréal lundi.

« Alors, avant d’attirer les entreprise­s étrangères au Québec, on doit s’assurer que la production locale va survivre. »

M. Legault s’est engagé à bonifier l’aide offerte aux producteur­s québécois en 2020. Il a invité la presse à lire attentivem­ent le prochain budget Girard, qui sera présenté cet hiver. L’an 2020 sera une « belle année » pour la ministre de la Culture, Nathalie Roy, a-t-il promis.

On veut dire à Netflix : […] venez produire au Québec avec des employés québécois, créez des emplois payants au Québec. Ce sont des emplois de 75 000, 100 000 » [dollars] par année. FRANÇOIS LEGAULT

Ce reportage a été financé grâce au soutien du Fonds de journalism­e internatio­nal TransatLe Devoir.

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