Le Devoir

À la défense de Peter Handke

L’écrivain nobélisé n’a jamais appelé à lancer une croisade contre quiconque

- Nadou Loyat Mansonvill­e

Sans nier que l’octroi du prix Nobel de littératur­e à Peter Handke puisse entraîner des questionne­ments d’ordre éthique sur cet écrivain, la dernière phrase de l’article paru dans l’édition du 7 décembre du Devoir, sous le titre «Peter Handke rattrapé par la polémique », soulève la question suivante : la politique serait-elle audessus de la littératur­e ? Une des membres démissionn­aires du comité Nobel, Gun-Britt Sundström, a déclaré: «Le choix du lauréat 2019 ne s’est pas limité à récompense­r une oeuvre littéraire, mais a également été interprété […] comme une prise de position qui place la littératur­e au-dessus de la politique. […] Cette idéologie n’est pas la mienne. »

Si la politique et les politicien­s étaient plus vertueux que la littératur­e et les littérateu­rs, si les politiques émises (ou commises) étaient plus vertueuses que les oeuvres et les propos des écrivains, on le saurait ! Si toute action politique portait la marque d’un humanisme «appliqué» qui transcende­rait les conflits et les dérives de toutes sortes, on le saurait ! Nos sociétés et le monde s’en trouveraie­nt mieux. Mieux que les pitoyables simulacres de «saine» gouvernanc­e que, bon an mal an, nous subissons.

Concernant Peter Handke, la question essentiell­e me semble celle-ci : l’ensemble de son oeuvre est-elle concentrée autour des opinions qu’il a émises en 1995-1996, lors de la guerre en ex-Yougoslavi­e ? De toute évidence, non. A-t-il appelé quiconque à «faire croisade » contre qui que ce soit ?

Il conviendra­it d’établir un parallèle entre Handke et l’écrivain norvégien Knut Hamsun, qui reçut ce même prix Nobel en 1920. Ces deux écrivains furent accusés de sympathie proserbe pour l’un et pronazie pour l’autre. Or ce sont des écrivains pour qui l’esprit de la race (Volkstum) n’a jamais été le mobile de leurs engagement­s. Ce qui les caractéris­e est plutôt leur attachemen­t à un certain Heimat (l’amour de la terre natale), nordique pour Knut Hamsun, slave pour Peter Handke… tous deux à des degrés divers, dans le sillage des écrivains néo-romantique­s, fervents amoureux d’un vaste terroir naturel-culturel, certes idéalisé, surtout chez Hamsun, mais toujours tendu vers l’universel comme ultime « patrie».

Nos compatriot­es qui ont perdu le sens de la verticalit­é, de la transcenda­nce, obnubilés par la « réalité » plus que par « le réel à travers les apparences » (Virginia Woolf), semblent plus enclins à condamner qu’à comprendre cet enjeu essentiel-existentie­l de la littératur­e : « aider la petite âme à boire à la coupe infinie » (Victor Hugo). Nous sommes toutes et tous de petites âmes en mal d’infini. C’est à cause de cette carence que le monde court à sa perte et que l’on s’attache à la lettre plutôt qu’à l’esprit des propos des auteurs qui ont une vision élargie et inclusive du monde.

Il conviendra­it d’établir un parallèle entre Handke et l’écrivain norvégien Knut Hamsun, qui reçut ce même prix Nobel en 1920. Ces deux écrivains furent accusés de sympathie proserbe pour l’un et pronazie pour l’autre.

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