Le Devoir

Le Canada doit revoir sa stratégie avec la Chine

Les relations ne pourront plus être celles d’avant la crise

- Guy Saint-Jacques Ambassadeu­r du Canada en République populaire de Chine de 2012 à 2016

Je me lève tous les matins en pensant au cauchemar que vit Michael Kovrig, un grand collègue avec qui j’ai eu le plaisir de travailler à l’ambassade du Canada à Pékin, et j’espère qu’un miracle surviendra pour que lui et Michael Spavor soient libérés. En ce triste anniversai­re de leur première année de détention, la stratégie poursuivie par Ottawa a eu des résultats mitigés : ils n’ont pas été libérés sous caution, ni n’ont encore vu un avocat.

Puisque la Chine nous a avertis que les choses ne reviendron­t à la normale que lorsque Meng Wanzhou retournera en Chine, la situation semble sans issue, car ses avocats s’emploieron­t à retarder son extraditio­n. Nos fermiers ont perdu des milliards de dollars en ventes de canola (les exportatio­ns ont baissé de 50%), de soya, de pois et de viande; dans ce cas, la Chine a été forcée de reprendre l’importatio­n de porc canadien à cause de l’épidémie de peste porcine africaine. Puisque les États-Unis nous ont mis dans ce pétrin en demandant de l’arrêter, ils doivent nous aider davantage à résoudre la crise. Mais peut-on se fier à Donald Trump sachant son opinion sur notre premier ministre? Le message devrait être que nous serons moins avenants la prochaine fois qu’ils nous demanderon­t un service.

Est-il possible d’avoir des relations normales avec la Chine ? Comme Nicholas Kristof l’écrivait dans le New York Times du 30 novembre, il est plus difficile de rester ambivalent sur la Chine après les révélation­s sur sa campagne dans la province du Xinjiang qui frôle le génocide culturel et le non-respect de l’accord un-paysdeux-systèmes à Hong Kong. En supposant que nos compatriot­es soient relâchés l’an prochain, je ne crois pas qu’il serait possible de reprendre les relations là où elles étaient avant la crise. Cependant, nous devons penser

La crise actuelle avec la Chine montre les défis de gérer les relations avec une superpuiss­ance qui ignore les règles internatio­nales quand ça ne fait pas son affaire. Même si le Canada n’est pas le premier pays à subir ses foudres et ses tactiques d’intimidati­on, c’est la première fois qu’un pays a obtenu l’appui de ses alliés.

où nous voulons être dans cinq ou dix ans, sachant que la Chine doit aider à régler les problèmes mondiaux comme les changement­s climatique­s, la proliférat­ion nucléaire ou les pandémies.

La crise actuelle avec la Chine montre les défis de gérer les relations avec une superpuiss­ance qui ignore les règles internatio­nales quand ça ne fait pas son affaire. Même si le Canada n’est pas le premier pays à subir ses foudres et ses tactiques d’intimidati­on, c’est la première fois qu’un pays a obtenu l’appui de ses alliés. Je crois que cela a pris la Chine de court, car cela a entaché son image à l’étranger. Notre message devrait être que nous réévaluons la relation et que tous les échanges officiels sont suspendus jusqu’à la libération de Michael Kovrig et Michael Spavor. Après, nous voudrons renouer les liens, mais sur la base de la réciprocit­é et du respect mutuel.

Nous devrions commencer immédiatem­ent à réévaluer notre stratégie d’engagement avec la Chine, en reconnaiss­ant qu’elle est devenue un pays plus autoritair­e et un compétiteu­r stratégiqu­e depuis que Xi Jinping est devenu secrétaire général du Parti communiste chinois (PCC) en novembre 2012. Bien sûr, notre capacité à influencer la Chine est très limitée ; notre but est simplement de nous assurer que les droits de la personne fondamenta­ux soient mieux protégés et que la Chine cesse de se comporter comme un enfant gâté.

Il ne faut pas renoncer à nos valeurs. Nous devrions réagir rapidement et fermement à toute ingérence dans les affaires canadienne­s, y compris parmi les Canadiens d’origine chinoise, à tout cas d’espionnage ou de tentative pour limiter les débats sur nos campus. Le gouverneme­nt devrait étudier les mesures prises par l’Australie pour contrer l’ingérence chinoise. Je suggérerai­s également qu’une revue soit faite de la collaborat­ion dans le domaine de la haute technologi­e, y compris l’intelligen­ce artificiel­le, pour prévenir l’utilisatio­n de notre expertise dans les programmes de contrôle en Chine ou pour limiter la liberté d’expression.

Le message à la Chine devrait être que nous sommes d’accord pour qu’elle joue un plus grand rôle sur la scène internatio­nale et qu’elle se joigne à l’APTGP (Accord de partenaria­t transpacif­ique global et progressis­te), pourvu qu’elle cesse ses tactiques d’intimidati­on envers d’autres pays et qu’elle devienne un meilleur citoyen mondial. […] Il est temps, à mon avis, d’appliquer la réciprocit­é, c’est-à-dire de permettre aux compagnies chinoises d’investir au Canada si une compagnie canadienne peut faire la même chose en Chine.

Un jour, Michael Kovrig et Michael Spavor seront libres. Espérons qu’ils pourront retrouver une vie normale le plus tôt possible.

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