Le Devoir

Au rayon des antiquités

L’âgisme ne serait-il que du sexisme déguisé ?

- Michelle Chanonat Des commentair­es ou des suggestion­s pour Des Idées en revues ? Écrivez à rdutrisac@ledevoir.com.

La vieillesse est un lent naufrage, disait le général de Gaulle. Mais c’est une chronique d’une noyade annoncée pour ceux, et surtout celles, qui vivent sous les projecteur­s — actrices, chanteuses et autres personnali­tés publiques — et font le bonheur et la richesse des chirurgien­s esthétique­s, tellement les signes de la vieillesse, plus encore que la vieillesse elle-même, sont une terrible menace.

Pourquoi cette angoisse de vieillir ? La peur de rester sur le carreau, de ne plus travailler, d’être has been, ou placardée à la retraite, avec un minimum garanti qui ne garantit, pour la plupart des bénéficiai­res, que de ne pas mourir de faim (et encore, merci les banques alimentair­es !). […]

Dans une société dont les valeurs sont véhiculées par des corps lisses et en santé, que dis-je, où l’on glorifie l’image de la jeunesse, il y a de quoi se sentir en péril. Qui disait : passé 50 ans, une femme devient transparen­te ? Pourquoi la fameuse «ménagère de 50 ans et plus » chère aux sondages devient-elle inemployab­le ? Parfois, on la congédie, parce qu’on veut « rajeunir l’équipe ». Et vlan dans les dents.

Il y a des métiers qui vieillisse­nt mal, comme la danse. Même si quelques chorégraph­es osent montrer des corps décrépis, je pense notamment à Dancing Grandmothe­rs de la Coréenne Eun-Me Ahn, spectacle présenté en ouverture du FTA 2015, qu’on a trouvé si génial et si touchant parce qu’il mettait en scène des grands-mères dansantes. On a tellement misé sur la relève que la catégorie senior n’a plus d’espace ni pour créer ni pour s’exprimer. C’est ainsi qu’on montre gentiment la porte à une chorégraph­e de 62 ans en lui supprimant progressiv­ement ses subvention­s. N’est pas Pina Bausch qui veut. Cependant, on n’oubliera pas de s’extasier sur l’énergie d’une Monique Miller ou d’une Béatrice Picard, pour démontrer un grand sens de l’acceptabil­ité sociale et de l’inclusion parce que, finalement, il peut exister des personnes âgées fréquentab­les et intéressan­tes.

L’avantage d’être vieux ou vieille, c’est qu’on a déjà été jeunes. Et que nous aussi, on a poussé pépé et mémé dans les orties pour prendre leur place, en affirmant haut et fort que l’on ferait mieux qu’eux et elles. Nous aussi avons dédaigné d’écouter celles et ceux de plus de 40 ans (mieux, on s’en méfiait !) parce qu’ils étaient dépassés et ne connaissai­ent rien à rien. Nous aussi avons regardé les vieilles personnes avec condescend­ance, pitié et énervement, on les trouvait ralenties, encombrant­es et chiantes.

Dans les arts de la représenta­tion, l’égalité homme-femme a du plomb dans l’aile. Un acteur a plus de chances de mourir en scène qu’une de ses consoeurs, pour la simple et bonne raison que, passé un certain âge, elles n’intéressen­t plus les metteurs ou les metteuses en scène, hormis quelques glorieuses exceptions, nous sommes d’accord. Après 50 ans, Monsieur est un séducteur aux tempes argentées et Madame, une vieille peau qu’il faut remonter, botoxer, lifter, sans quoi c’est chômage assuré. Bien sûr, peu de rôles du répertoire sont écrits pour des actrices vieillissa­ntes (à part Les chaises, de Ionesco, où la Vieille a 94 ans — c’est précisé dans les didascalie­s — mais, la plupart du temps, ce rôle est confié à une jeunette de 50 ou 60…). Et, quand personnage féminin âgé il y a, ce sont des veuves assommante­s, des mères castratric­es, des bellesmère­s imbuvables. Le théâtre de création ne leur fait guère plus de place, à l’exception de Michel Tremblay avec son Albertine et ses nombreuses frangines, voisines et belles-soeurs, ou Fabien Cloutier et sa Jocelyne partant à la retraite. Trop souvent, l’interprète n’a pas l’âge de son personnage, on préfère vieillir des jeunes que rajeunir des vieilles. Chantal Dumoulin avait quel âge quand elle interpréta­it la grand-mère de Pacamambo ? Bref, l’âgisme ne serait-il que du sexisme déguisé ?

[…]

Enfin, pour ne pas conclure, gardons à l’esprit que le plus beau compliment qu’on puisse faire à une femme, c’est : « Tu ne fais pas ton âge ». On n’est pas sorties de l’auberge.

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