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Comment intervenir dans une élection étrangère |

Comment intervenir dans une élection étrangère sans se faire prendre

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Dov H. Levin enseigne les relations internatio­nales à l’Université de Hong Kong (UHK). Il étudie les causes, les effets et l’efficacité de l’interventi­on des grandes puissances dans les élections démocratiq­ues étrangères, sujet d’actualité avec les tentatives de manipulati­on russes des dernières élections présidenti­elles américaine­s et des apparences d’interventi­ons américaine­s dans les élections britanniqu­es qui auront lieu jeudi. Propos recueillis par Stéphane Baillargeo­n.

Qu’est-ce qu’une interventi­on étrangère dans une élection ? De quoi parle-t-on précisémen­t ?

Il s’agit d’une situation dans laquelle une puissance étrangère entreprend intentionn­ellement des actions spécifique­s pour influer de manière ouverte ou secrète sur une élection à venir dans un autre pays souverain. Ce qui, selon cette puissance étrangère, aidera l’une des parties se présentant à cette élection.

Ces interventi­ons ont recours à diverses méthodes à cette fin, notamment des menaces ou des promesses publiques, la fourniture secrète d’argent à la campagne du parti ou du candidat préféré, des « manigances » telles que la divulgatio­n de véritables (ou de fausses) informatio­ns préjudicia­bles sur les personnes ou les camps indésirabl­es. Ces interventi­ons peuvent aussi utiliser diverses tactiques de campagnes électorale­s avancées, ou encore augmenter l’aide étrangère ou toute autre forme d’assistance avant le jour du scrutin. Ou bien, au contraire, supprimer ce type d’aide.

Comment cette capacité d’interventi­on a-t-elle évolué, notamment avec les nouveaux outils numériques ? En clair : sommes-nous dans une nouvelle phase ou même dans l’âge d’or des interventi­ons électorale­s ?

La méthode traditionn­elle d’interventi­on électorale partisane se faisait par la propagatio­n de « fausses informatio­ns » ou de fuites d’informatio­ns embarrassa­ntes (ce que j’appelle des sales coups). Cette façon utilisait des outils analogique­s pour diffuser des « fuites » ou de « fausses nouvelles », par exemple avec la complicité d’un journalist­e corrompu. Cette ancienne méthode a maintenant été numérisée. En d’autres termes, les sales astuces sont aujourd’hui conduites par l’entremise d’Internet (WikiLeaks, les médias sociaux, etc.). Sinon, peu de choses ont changé.

Les effets du passage de cette méthode d’interventi­on de l’analogique au numérique sur son efficacité ne sont toujours pas clairs : trop peu de cas ont été confirmés (à part l’interventi­on russe lors des élections américaine­s de 2016) pour finalement trancher.

Il est également trop tôt pour savoir si nous entrons dans un nouvel âge d’or de la manipulati­on ou si nous entrons dans une nouvelle phase d’ingérence. De telles interventi­ons ont commencé à se dérouler à la fin du XVIIIe siècle, dès les premières élections au niveau national. Elles ont aussi été très fréquemmen­t effectuées pendant la guerre froide. Les tendances dans les données actuelleme­nt disponible­s montrent que cette ingérence a continué de se faire régulièrem­ent après la fin de cette période. L’interventi­on russe dans les élections américaine­s de 2016 a tout simplement attiré beaucoup plus l’attention du monde que de nombreux autres cas d’interventi­on électorale postérieur­s à la guerre froide.

Quelles interventi­ons fonctionne­nt le mieux ? Et comment pouvezvous suivre et juger cette capacité ?

J’ai découvert que les interventi­ons pouvaient être un outil assez efficace pour l’intervenan­t, augmentant la part de vote du candidat ou du parti préféré de 3 % en moyenne. Cela suffit dans de nombreux cas pour déterminer les résultats des élections. Les interventi­ons publiques ou manifestes sont généraleme­nt plus efficaces que les interventi­ons secrètes ou cachées pour faire basculer le résultat vers le candidat préféré.

J’arrive à ces constats en me fondant sur une analyse statistiqu­e à partir de ma base de données Partisan Electoral Interventi­on by the Great Powers (PEIG). J’utilise des mesures de l’ingérence concernant les interventi­ons américaine­s et soviétique­s puis russes. Ces mesures sont ensuite intégrées aux modèles de vote largement utilisés par les politologu­es pour prédire les résultats des élections. Ces modèles incluent d’autres facteurs nationaux importants ayant une incidence sur les résultats des élections, la situation économique par exemple.

Quelle puissance intervient le plus selon vos études ?

Selon ma base de données documentan­t les cas entre 1946 et 2000, les États-Unis ont été plus assidus, intervenan­t dans 81 élections différente­s sur le plan national. Le décompte recense aussi 36 exemples d’interventi­on soviétique­s ou russes pendant la même période.

L’interventi­on récente de la Russie dans les élections américaine­s estelle un cas typique ?

C’est un cas typique d’ingérence de ce type, à deux exceptions près : d’abord, l’utilisatio­n de méthodes numériques au lieu de méthodes analogique­s pour les sales tours ; ensuite, le fait que cette interventi­on, conçue pour être secrète, a été révélée. La plupart des interventi­ons électorale­s cachées restent secrètes pendant des années après les faits. C’est-à-dire que l’acte ou l’implicatio­n étrangère restent inconnus du public concerné. Il y a clairement eu une défaillanc­e opérationn­elle majeure des services de renseignem­ent russes dans cette affaire américaine.

De riches donateurs américains ont récemment financé des groupes britanniqu­es de la droite proBrexit. S’agit-il d’une interventi­on étrangère dans les élections en cours en Grande-Bretagne ?

Le cas des donateurs américains ne compterait pas comme une interventi­on étant donné qu’ils sont (d’après les informatio­ns disponible­s à ce jour) des acteurs privés qui le font par leur libre choix. Quand je parle de cette ingérence, je parle d’actes directs ou indirects commis par un acteur étatique.

Par ailleurs, la récente déclaratio­n de Donald Trump lors de sa visite à la conférence de l’OTAN selon laquelle le système de santé britanniqu­e (le NHS) ne ferait pas partie d’éventuelle­s négociatio­ns entre le Royaume-Uni et les États-Unis pour un nouvel accord commercial était probableme­nt une interventi­on américaine en faveur du premier ministre Boris Johnson. […] Cette promesse de Trump est donc probableme­nt très utile pour la campagne électorale de Johnson, et nous verrons bientôt jusqu’à quel point.

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ERIN SCHAFF AGENCE FRANCE-PRESSE Boris Johnson et Donald Trump lors du dernier sommet du G7 à Biarritz, en France, en août

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