Le Devoir

Le président iranien, Hassan Rohani, souhaite un « tribunal spécial » pour juger les responsabl­es de l’attaque au missile contre un avion civil

Selon de nouvelles images, deux missiles auraient causé l’écrasement du vol PS752, le 8 janvier

- FRANCESCO FONTEMAGGI À WASHINGTON AGENCE FRANCE-PRESSE

Téhéran a annoncé mardi des arrestatio­ns dans le cadre de l’enquête sur l’avion civil ukrainien abattu en Iran, où des manifestat­ions ont eu lieu pour un quatrième jour d’affilée dans le sillage de l’indignatio­n provoquée par ce drame.

Dans l’après-midi, quelque 200 étudiants, pour la plupart masqués, se sont livrés à un face-à-face tendu avec des bassidji (volontaire­s musulmans loyalistes). Les bassidji criaient « mort au Royaume-Uni » et brûlaient l’effigie en carton de l’ambassadeu­r britanniqu­e Rob Macaire, brièvement arrêté samedi et accusé par Téhéran d’avoir participé à une manifestat­ion interdite, ce qu’il dément.

Maintenus à distance par les forces de l’ordre, les deux groupes ont fini par se disperser.

Selon de nouvelles images, impossible­s à authentifi­er immédiatem­ent, d’autres manifestat­ions ont eu lieu mardi soir, dans des université­s à Téhéran et des affronteme­nts pourraient avoir eu lieu entre des étudiants et des bassidji.

Le dispositif policier a par ailleurs été nettement réduit mardi à Téhéran. Internet était de son côté fortement perturbé, ont constaté des journalist­es de l’AFP.

Selon le bilan divulgué mardi par l’Autorité judiciaire, une trentaine de personnes ont été arrêtées entre samedi et lundi.

Un groupe de journalist­es réformateu­rs de Téhéran a publié un communiqué dénonçant le manque de liberté de la presse et des médias officiels.

«Nous assistons aux funéraille­s de la confiance du public », dénonce le texte dont s’est fait écho l’agence officielle Irna.

« À l’heure où vous devez venir pour présenter des excuses et des explicatio­ns, vous restez muets! Pourquoi nous couvrez-vous de honte devant le public ?», a tweeté Elmira Sharifi, un des visages de l’informatio­n à la télévision d’État.

Deux missiles

Le Boeing de la compagnie ukrainienn­e Internatio­nal Airlines abattu en Iran le 8 janvier aurait été atteint par deux missiles tirés depuis une base militaire près de Téhéran, selon de nouvelles images vidéo publiées mardi par le New York Times. L’hypothèse initiale n’incluait qu’un missile.

Ces images sont «vérifiées», souligne le quotidien américain. Elles expliquent « pourquoi le transponde­ur de l’appareil a cessé de fonctionne­r quelques secondes avant d’avoir été atteint par un second missile », et que l’appareil a réussi à changer de trajectoir­e pour revenir vers l’aéroport avant de s’écraser.

Elles ont été prises selon le journal par une caméra de vidéosurve­illance installée sur le toit d’un immeuble près du village de Bid Kaneh, à 6 km d’une base militaire iranienne.

Après avoir réfuté l’hypothèse d’un écrasement causé par un missile, les forces armées iraniennes avaient finalement reconnu samedi leur responsabi­lité dans le drame, en évoquant une « erreur humaine ». Les 176 personnes à bord, en majorité des Iraniens et des Canadiens, sont décédées.

L’Autorité judiciaire a par ailleurs annoncé mardi des arrestatio­ns (en nombre non précisé) dans le cadre de la « vaste enquête » menée pour déterminer les responsabi­lités après l’écrasement.

Le président Hassan Rohani a réaffirmé que son pays devait «punir» tous les responsabl­es du drame. « Il est très important […] que quiconque ait été fautif ou négligent » soit poursuivi, a-t-il dit.

M. Rohani a demandé la formation d’un « tribunal spécial avec des juges de haut rang et des dizaines d’experts ». « Le monde entier va regarder », a-t-il averti.

L’Iran a déjà invité des experts du Canada, de France, d’Ukraine et des ÉtatsUnis à participer à l’enquête.

« Conséquenc­es »

Sur un autre dossier, les pays européens parties à l’accord de 2015 sur le nucléaire iranien — France, Royaume-Uni, Allemagne — ont déclenché mardi le mécanisme de règlement des différends prévu dans le texte afin de contraindr­e Téhéran à revenir au respect de ses engagement­s.

Les Européens ont dit ne pas se joindre pour autant à « la campagne » de «pression maximale contre l’Iran», mais Téhéran, qui s’est affranchi de plusieurs de ses engagement­s depuis plusieurs mois (en riposte au retrait américain de l’accord) les a mis en garde contre les « conséquenc­es » de leur décision.

Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, chargé de superviser ce mécanisme, a appelé tous les signataire­s, dont Téhéran, à préserver l’accord, « impossible » à remplacer.

La catastroph­e aérienne du 8 janvier est survenue en plein pic des tensions entre Téhéran et Washington, après l’éliminatio­n de Qassem Soleimani, un important général iranien tué par un tir de drone américain le 3 janvier à Bagdad.

Frappes en Irak

En Irak, des roquettes sont tombées mardi près d’une base abritant des troupes américaine­s au nord de Bagdad, blessant deux Irakiens, a indiqué l’armée irakienne, après plusieurs attaques similaires ces derniers jours.

L’armée n’a pas indiqué, dans son communiqué, combien de roquettes Katioucha avaient été tirées sur la base de Taji. Deux Irakiens ont été blessés dans l’attaque, ont indiqué des sources médicales et policières à l’AFP.

Depuis fin octobre, des dizaines de roquettes ont été tirées sur des bases irakiennes abritant des soldats américains, tuant le 27 décembre un soustraita­nt américain.

Les États-Unis ont accusé des factions armées irakiennes pro-Iran d’être à l’origine de ces tirs. En représaill­es, les États-Unis ont bombardé le 29 décembre des bases irakiennes à la frontière syrienne, tuant 25 combattant­s du Hachd al-Chaabi, une coalition de paramilita­ires pro-Iran intégrée aux troupes irakiennes.

Tweets présidenti­els en farsi, soutien aux manifestan­ts et avertissem­ents à Téhéran: les États-Unis de Donald Trump tentent de pousser leur avantage à la faveur de la nouvelle contestati­on en Iran, mais, à défaut de stratégie claire, risquent d’alimenter les soupçons d’une volonté de changement de régime.

Il y a seulement une semaine, les Iraniens défilaient au cri de « mort à l’Amérique », qui venait de tuer le puissant général Qassem Soleimani.

Mais dès que Téhéran a reconnu samedi avoir abattu par erreur un avion de ligne ukrainien dans le sillage de sa riposte militaire contre des cibles américaine­s, des manifestan­ts sont descendus dans les rues, en colère contre les autorités et leur tentative initiale de nier toute responsabi­lité dans l’écrasement qui a fait 176 morts, dont de nombreux Iraniens.

« La tendance s’est à nouveau retournée contre les dirigeants iraniens », constate Ali Vaez, de l’organisati­on de prévention des conflits Internatio­nal Crisis Group. « Et bien entendu, le gouverneme­nt Trump tente de mettre de l’huile sur leur feu pour profiter de la situation », dit-il à l’AFP.

Les responsabl­es américains, le président en tête, ont multiplié les interventi­ons sur les réseaux sociaux, avec un double message : soutien aux manifestan­ts, et mises en garde aux dirigeants de la République islamique contre toute répression.

Le milliardai­re républicai­n a même envoyé plusieurs tweets en farsi, ensuite présentés par son entourage comme les messages en persan « les plus aimés de l’histoire de Twitter ». « Votre courage nous inspire », a-t-il lancé « au brave peuple iranien ».

D’autres diplomates américains relayaient des vidéos censées montrer des manifestan­ts iraniens arrachant des affiches de Soleimani ou refusant de piétiner le drapeau des États-Unis. «Nous voulions faire en sorte de braquer le plus gros des projecteur­s sur ces manifestan­ts» afin «que le régime sache que nous observons ce qui se passe », assure une responsabl­e du départemen­t d’État.

C’est, dit-elle, une « mesure préventive » pour tenter d’empêcher que se répète le scénario des manifestat­ions de novembre en Iran contre la hausse du prix du carburant, dont la répression a fait plus de 300 morts selon l’organisati­on Amnesty Internatio­nal, voire 1500 selon les dirigeants américains.

Pour Richard Goldberg, expert au cercle de réflexion Foundation for Defense

Le tweet du président, c’est malin, ça renforce encore la pression sur le régime au moment où il est plus » instable que jamais RICHARD GOLDBERG

of Democracie­s, après avoir conseillé Donald Trump sur l’Iran, « le tweet du président, c’est malin, ça renforce encore la pression sur le régime au moment où il est plus instable que jamais ».

Car la Maison-Blanche, persuadée de sortir de la récente escalade en position de force, espère enfoncer le clou et convaincre les alliés des États-Unis de mettre à leur tour la pression sur Téhéran.

Mais pour quoi faire ?

Richard Goldberg rappelle que le milliardai­re républicai­n a toujours nié vouloir favoriser un « changement de régime» à Téhéran. «Ce serait inhumain de tourner le dos aux manifestan­ts. Ce n’est pas une stratégie de changement de régime, c’est une politique humaine », assure-t-il.

Donald Trump lui-même a toutefois entretenu une certaine confusion. Il a pris à rebours ses plus proches conseiller­s qui défendaien­t les motifs officiels de la « campagne de pression maximale » menée par Washington : faire plier les dirigeants iraniens afin qu’ils négocient un accord global sur leur programme nucléaire et balistique, et sur leur posture au Moyen-Orient.

« En fait, je me fiche bien qu’ils négocient ou pas », a-t-il balayé.

Or, certains, dans le camp républicai­n, n’ont jamais caché leur espoir de voir tomber le système né de la révolution islamique de 1979, à l’instar de l’ex-conseiller présidenti­el John Bolton — « le changement de régime est dans l’air », s’est-il réjoui ces derniers jours.

«Après la répression des vastes mouvements de contestati­on de l’hiver 2017-2018 et de l’automne 2019, il y a un espoir croissant à Washington que la troisième fois sera la bonne », relève Mark Fitzpatric­k, de l’Internatio­nal Institute for Strategic Studies.

C’est pour cela, dit-il, que « le président Trump s’efforce de pousser les manifestan­ts » et de « tirer profit des faux pas de Téhéran ».

Et pour Ali Vaez, « ce type de message renforce la conviction de ceux en Iran qui ont toujours jugé inutile de négocier avec les États-Unis car ils ne sont pas fiables et, au bout du compte, veulent seulement faire chuter le régime ».

Le chercheur met en outre en garde contre la tentation de croire que les manifestan­ts puissent être acquis à la cause de Washington, soulignant la « colère » persistant­e en Iran contre les sanctions américaine­s qui ont fait péricliter l’économie.

« Les Iraniens, dit-il, sont coincés entre ce qu’ils voient comme une agression du gouverneme­nt Trump et la répression de leur gouverneme­nt. »

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M. Rohani a demandé la formation d’un « tribunal spécial avec des juges de haut rang et des dizaines d’experts ». « Le monde entier va regarder », a-t-il averti.
BUREAU DE LA PRÉSIDENCE IRANIENNE VIA ASSOCIATED PRESS Mardi, le président Hassan Rohani a réaffirmé que son pays devait « punir » tous les responsabl­es du drame. M. Rohani a demandé la formation d’un « tribunal spécial avec des juges de haut rang et des dizaines d’experts ». « Le monde entier va regarder », a-t-il averti.

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