Le président iranien, Hassan Rohani, souhaite un « tribunal spécial » pour juger les responsables de l’attaque au missile contre un avion civil
Selon de nouvelles images, deux missiles auraient causé l’écrasement du vol PS752, le 8 janvier
Téhéran a annoncé mardi des arrestations dans le cadre de l’enquête sur l’avion civil ukrainien abattu en Iran, où des manifestations ont eu lieu pour un quatrième jour d’affilée dans le sillage de l’indignation provoquée par ce drame.
Dans l’après-midi, quelque 200 étudiants, pour la plupart masqués, se sont livrés à un face-à-face tendu avec des bassidji (volontaires musulmans loyalistes). Les bassidji criaient « mort au Royaume-Uni » et brûlaient l’effigie en carton de l’ambassadeur britannique Rob Macaire, brièvement arrêté samedi et accusé par Téhéran d’avoir participé à une manifestation interdite, ce qu’il dément.
Maintenus à distance par les forces de l’ordre, les deux groupes ont fini par se disperser.
Selon de nouvelles images, impossibles à authentifier immédiatement, d’autres manifestations ont eu lieu mardi soir, dans des universités à Téhéran et des affrontements pourraient avoir eu lieu entre des étudiants et des bassidji.
Le dispositif policier a par ailleurs été nettement réduit mardi à Téhéran. Internet était de son côté fortement perturbé, ont constaté des journalistes de l’AFP.
Selon le bilan divulgué mardi par l’Autorité judiciaire, une trentaine de personnes ont été arrêtées entre samedi et lundi.
Un groupe de journalistes réformateurs de Téhéran a publié un communiqué dénonçant le manque de liberté de la presse et des médias officiels.
«Nous assistons aux funérailles de la confiance du public », dénonce le texte dont s’est fait écho l’agence officielle Irna.
« À l’heure où vous devez venir pour présenter des excuses et des explications, vous restez muets! Pourquoi nous couvrez-vous de honte devant le public ?», a tweeté Elmira Sharifi, un des visages de l’information à la télévision d’État.
Deux missiles
Le Boeing de la compagnie ukrainienne International Airlines abattu en Iran le 8 janvier aurait été atteint par deux missiles tirés depuis une base militaire près de Téhéran, selon de nouvelles images vidéo publiées mardi par le New York Times. L’hypothèse initiale n’incluait qu’un missile.
Ces images sont «vérifiées», souligne le quotidien américain. Elles expliquent « pourquoi le transpondeur de l’appareil a cessé de fonctionner quelques secondes avant d’avoir été atteint par un second missile », et que l’appareil a réussi à changer de trajectoire pour revenir vers l’aéroport avant de s’écraser.
Elles ont été prises selon le journal par une caméra de vidéosurveillance installée sur le toit d’un immeuble près du village de Bid Kaneh, à 6 km d’une base militaire iranienne.
Après avoir réfuté l’hypothèse d’un écrasement causé par un missile, les forces armées iraniennes avaient finalement reconnu samedi leur responsabilité dans le drame, en évoquant une « erreur humaine ». Les 176 personnes à bord, en majorité des Iraniens et des Canadiens, sont décédées.
L’Autorité judiciaire a par ailleurs annoncé mardi des arrestations (en nombre non précisé) dans le cadre de la « vaste enquête » menée pour déterminer les responsabilités après l’écrasement.
Le président Hassan Rohani a réaffirmé que son pays devait «punir» tous les responsables du drame. « Il est très important […] que quiconque ait été fautif ou négligent » soit poursuivi, a-t-il dit.
M. Rohani a demandé la formation d’un « tribunal spécial avec des juges de haut rang et des dizaines d’experts ». « Le monde entier va regarder », a-t-il averti.
L’Iran a déjà invité des experts du Canada, de France, d’Ukraine et des ÉtatsUnis à participer à l’enquête.
« Conséquences »
Sur un autre dossier, les pays européens parties à l’accord de 2015 sur le nucléaire iranien — France, Royaume-Uni, Allemagne — ont déclenché mardi le mécanisme de règlement des différends prévu dans le texte afin de contraindre Téhéran à revenir au respect de ses engagements.
Les Européens ont dit ne pas se joindre pour autant à « la campagne » de «pression maximale contre l’Iran», mais Téhéran, qui s’est affranchi de plusieurs de ses engagements depuis plusieurs mois (en riposte au retrait américain de l’accord) les a mis en garde contre les « conséquences » de leur décision.
Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, chargé de superviser ce mécanisme, a appelé tous les signataires, dont Téhéran, à préserver l’accord, « impossible » à remplacer.
La catastrophe aérienne du 8 janvier est survenue en plein pic des tensions entre Téhéran et Washington, après l’élimination de Qassem Soleimani, un important général iranien tué par un tir de drone américain le 3 janvier à Bagdad.
Frappes en Irak
En Irak, des roquettes sont tombées mardi près d’une base abritant des troupes américaines au nord de Bagdad, blessant deux Irakiens, a indiqué l’armée irakienne, après plusieurs attaques similaires ces derniers jours.
L’armée n’a pas indiqué, dans son communiqué, combien de roquettes Katioucha avaient été tirées sur la base de Taji. Deux Irakiens ont été blessés dans l’attaque, ont indiqué des sources médicales et policières à l’AFP.
Depuis fin octobre, des dizaines de roquettes ont été tirées sur des bases irakiennes abritant des soldats américains, tuant le 27 décembre un soustraitant américain.
Les États-Unis ont accusé des factions armées irakiennes pro-Iran d’être à l’origine de ces tirs. En représailles, les États-Unis ont bombardé le 29 décembre des bases irakiennes à la frontière syrienne, tuant 25 combattants du Hachd al-Chaabi, une coalition de paramilitaires pro-Iran intégrée aux troupes irakiennes.
Tweets présidentiels en farsi, soutien aux manifestants et avertissements à Téhéran: les États-Unis de Donald Trump tentent de pousser leur avantage à la faveur de la nouvelle contestation en Iran, mais, à défaut de stratégie claire, risquent d’alimenter les soupçons d’une volonté de changement de régime.
Il y a seulement une semaine, les Iraniens défilaient au cri de « mort à l’Amérique », qui venait de tuer le puissant général Qassem Soleimani.
Mais dès que Téhéran a reconnu samedi avoir abattu par erreur un avion de ligne ukrainien dans le sillage de sa riposte militaire contre des cibles américaines, des manifestants sont descendus dans les rues, en colère contre les autorités et leur tentative initiale de nier toute responsabilité dans l’écrasement qui a fait 176 morts, dont de nombreux Iraniens.
« La tendance s’est à nouveau retournée contre les dirigeants iraniens », constate Ali Vaez, de l’organisation de prévention des conflits International Crisis Group. « Et bien entendu, le gouvernement Trump tente de mettre de l’huile sur leur feu pour profiter de la situation », dit-il à l’AFP.
Les responsables américains, le président en tête, ont multiplié les interventions sur les réseaux sociaux, avec un double message : soutien aux manifestants, et mises en garde aux dirigeants de la République islamique contre toute répression.
Le milliardaire républicain a même envoyé plusieurs tweets en farsi, ensuite présentés par son entourage comme les messages en persan « les plus aimés de l’histoire de Twitter ». « Votre courage nous inspire », a-t-il lancé « au brave peuple iranien ».
D’autres diplomates américains relayaient des vidéos censées montrer des manifestants iraniens arrachant des affiches de Soleimani ou refusant de piétiner le drapeau des États-Unis. «Nous voulions faire en sorte de braquer le plus gros des projecteurs sur ces manifestants» afin «que le régime sache que nous observons ce qui se passe », assure une responsable du département d’État.
C’est, dit-elle, une « mesure préventive » pour tenter d’empêcher que se répète le scénario des manifestations de novembre en Iran contre la hausse du prix du carburant, dont la répression a fait plus de 300 morts selon l’organisation Amnesty International, voire 1500 selon les dirigeants américains.
Pour Richard Goldberg, expert au cercle de réflexion Foundation for Defense
Le tweet du président, c’est malin, ça renforce encore la pression sur le régime au moment où il est plus » instable que jamais RICHARD GOLDBERG
of Democracies, après avoir conseillé Donald Trump sur l’Iran, « le tweet du président, c’est malin, ça renforce encore la pression sur le régime au moment où il est plus instable que jamais ».
Car la Maison-Blanche, persuadée de sortir de la récente escalade en position de force, espère enfoncer le clou et convaincre les alliés des États-Unis de mettre à leur tour la pression sur Téhéran.
Mais pour quoi faire ?
Richard Goldberg rappelle que le milliardaire républicain a toujours nié vouloir favoriser un « changement de régime» à Téhéran. «Ce serait inhumain de tourner le dos aux manifestants. Ce n’est pas une stratégie de changement de régime, c’est une politique humaine », assure-t-il.
Donald Trump lui-même a toutefois entretenu une certaine confusion. Il a pris à rebours ses plus proches conseillers qui défendaient les motifs officiels de la « campagne de pression maximale » menée par Washington : faire plier les dirigeants iraniens afin qu’ils négocient un accord global sur leur programme nucléaire et balistique, et sur leur posture au Moyen-Orient.
« En fait, je me fiche bien qu’ils négocient ou pas », a-t-il balayé.
Or, certains, dans le camp républicain, n’ont jamais caché leur espoir de voir tomber le système né de la révolution islamique de 1979, à l’instar de l’ex-conseiller présidentiel John Bolton — « le changement de régime est dans l’air », s’est-il réjoui ces derniers jours.
«Après la répression des vastes mouvements de contestation de l’hiver 2017-2018 et de l’automne 2019, il y a un espoir croissant à Washington que la troisième fois sera la bonne », relève Mark Fitzpatrick, de l’International Institute for Strategic Studies.
C’est pour cela, dit-il, que « le président Trump s’efforce de pousser les manifestants » et de « tirer profit des faux pas de Téhéran ».
Et pour Ali Vaez, « ce type de message renforce la conviction de ceux en Iran qui ont toujours jugé inutile de négocier avec les États-Unis car ils ne sont pas fiables et, au bout du compte, veulent seulement faire chuter le régime ».
Le chercheur met en outre en garde contre la tentation de croire que les manifestants puissent être acquis à la cause de Washington, soulignant la « colère » persistante en Iran contre les sanctions américaines qui ont fait péricliter l’économie.
« Les Iraniens, dit-il, sont coincés entre ce qu’ils voient comme une agression du gouvernement Trump et la répression de leur gouvernement. »