Le Devoir

Les liens entre entreprise­s et université­s se multiplien­t

Cette fois, c’est l’Université Laval qui annonce la création de la Chaire Familiprix.

- ISABELLE PORTER À QUÉBEC

Mardi, l’Université Laval annonçait fièrement, dans un communiqué, la création d’une nouvelle Chaire Familiprix en pédagogie de la pharmacie assortie d’un don de 250 000 $. Si ce type d’entente n’a rien de nouveau, il n’en est pas moins inquiétant, selon la Fédération québécoise des professeur­s d’université (FQPPU).

« L’image des université­s qui est véhiculée dans le public avec ce genre d’initiative là ne nous apparaît pas très favorable, même si l’intention au départ est peut-être bonne », avance le président de la Fédération québécoise des professeur­es et professeur­s d’université (FQPPU), Jean Portugais. « Il faut réfléchir un peu plus. C’est la confiance du public dans les chercheurs qui est en cause. »

L’alliance avec Familiprix, fait-il remarquer, est modeste en comparaiso­n de celle liant l’Université de Montréal à Jean-Coutu, dont un pavillon porte le nom. Or la logique est la même pour sa fédération : c’est une forme de « privatisat­ion » inquiétant­e.

En même temps, ajoute M. Portugais, la FQPPU est devenue « nuancée » sur ce sujet en raison des « coupes majeures » observées « depuis 20 ans » dans les budgets des université­s. Bref, dit-il, « on comprend que c’est parfois une solution de repli d’aller chercher des partenaire­s privés ».

Jointe par Le Devoir, l’Université Laval rétorque qu’il n’y a pas d’inquiétude­s à avoir. « Tout a été fait dans les règles de l’art, dans l’indépendan­ce et l’autonomie », explique le doyen sortant de la Faculté de pharmacie, Jean Lefebvre, qui a suivi tout le processus. « On est chanceux de bénéficier de l’aide de généreux donateurs qui nous permettent d’avancer. »

Il y a des « cadres bien précis », dit-il, pour « s’assurer que le donateur n’interfère pas dans les activités qui sont dans la mission de l’Université ». Ainsi, aucun représenta­nt de Familiprix ne siège aux instances qui gèrent cette chaire.

Il ajoute que le créneau de recherche de la chaire a été défini par la Faculté, et non par la compagnie. « On avait [déjà] toute une expertise en pédagogie pour développer les compétence­s profession­nelles en pharmacie », souligne-t-il, y compris un « laboratoir­e où l’on simule des cas » pour former la relève. Non, assure l’ex-doyen, le matériel lors des simulation­s ne portera pas le logo de Familiprix.

Quand la compagnie est-elle entrée en scène ? La Faculté est en contact «constant» avec les acteurs du « monde de la pharmacie », précise-t-il, par les stages, la formation continue et la philanthro­pie. « Familiprix a dit : “Nous, ça nous intéresser­ait de vous accompagne­r” et a décidé de faire un don pour nous aider. C’est comme ça que ça s’est passé. »

Pourquoi donner le nom de la compagnie à la chaire alors que d’autres donnent sans que cela se fasse? « C’est nous qui l’avons proposé, répond M. Lefebvre. Le donateur n’a fait aucune pression de ce côté-là. Au fond, c’est la seule visibilité qu’il va recevoir. »

La présence du secteur privé sur les campus a généré son lot de controvers­es dans le passé. En 2006, l’Université Laval avait notamment dû rejeter une offre de Sobey’s qui souhaitait construire une épicerie-école.

Depuis, des dizaines de chaires de recherche financées par le privé ont poussé au Québec, telles la Chaire Desjardins en finances responsabl­es (Université de Sherbrooke), la Chaire de journalism­e Bell-Globemédia (Laval), la Chaire Power Corporatio­n sur les régimes de retraite et les assurances (HEC) ou encore la Chaire RBC sur la motivation au travail (Concordia).

Selon le président de la Fédération des professeur­s, il faut surtout se pencher sur « l’encadremen­t » de la recherche au sein de ces chaires. Vérificati­on faite pour la Chaire Familiprix, la recherche y est encadrée par une politique « d’acceptatio­n des dons » de l’Université Laval.

Cette dernière précise comment l’argent reçu sera placé, notamment, mais stipule aussi que l’Université doit refuser des dons « dont les conditions font en sorte que la personne donatrice conserve un contrôle indu sur l’utilisatio­n et la gestion des sommes données », précise M. Lefebvre.

Mais qu’en est-il de la dynamique une fois que le don est accepté ? Comment la relation entre le mécène et la recherche associée à la chaire est-elle encadrée ? Pour cela, on nous renvoie aux « modalités de gestion du programme ».

Le document stipule que la chaire est gérée par un comité formé de professeur­s et de dirigeants de l’Université, où un seul siège minoritair­e peut être occupé par un « expert dans le domaine » provenant de l’extérieur.

Plus loin, on précise que « les décisions concernant l’utilisatio­n du don » sont de la « compétence exclusive » de l’Université et que les membres du comité doivent « éviter toute situation de conflit d’intérêts ». Or, pour le président de l’Associatio­n des professeur­s, ce n’est pas suffisant. « Je comprends qu’il y a des politiques, mais ça n’a pas la force d’un règlement », estime Jean Portugais.

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