Le Devoir

Entre colère et espoir d’obtenir justice

Les proches des victimes de l’avion civil abattu par l’Iran espèrent que le groupe internatio­nal saura faire éclater la vérité et obtenir des compensati­ons

- ALEXIS RIOPEL LISA-MARIE GERVAIS HÉLÈNE BUZZETTI

Tandis que les représenta­nts de pays endeuillés s’apprêtent à se rencontrer à Londres, jeudi, des proches des victimes de l’écrasement d’avion survenu à Téhéran une semaine plus tôt continuent à exiger la tenue d’une enquête approfondi­e.

«Arvin, c’était mon frère jumeau. On a partagé les plus grands moments de notre vie. C’est une partie de moi qui s’en est allée », explique au téléphone d’une voix douce Armin Mottarab, après un long silence. Son frère, Arvin Mottarab, et la femme de ce dernier, Aida Farzaneh, ont péri dans l’écrasement du vol PS752 qui a fauché 176 vies.

Le trentenair­e en colère s’accroche pour l’instant à une chose : qu’une enquête crédible révèle la vérité et que justice soit faite. C’est ce qu’il a répété lors d’une rencontre avec le premier ministre, Justin Trudeau, mardi, où le Canada a offert une aide consulaire d’urgence aux membres des familles des victimes désireux de se rendre rapidement en Iran.

Peut-être une étape importante dans le dossier sera-t-elle franchie jeudi. Le Groupe internatio­nal de coordinati­on et d’interventi­on pour les familles des victimes du vol PS752 se réunira pour la première fois au haut-commissari­at du Canada à Londres, à l’invitation du ministre des Affaires étrangères, François-Philippe Champagne. Le Canada, l’Ukraine, la Suède, l’Afghanista­n et le Royaume-Uni font partie de ce groupe, mais pas l’Iran.

« Cette démarche a pour but de permettre aux familles et aux proches des victimes d’obtenir les réponses qu’ils méritent, d’assurer la responsabi­lité et la transparen­ce, ainsi que d’obtenir justice, y compris une indemnisat­ion», stipule un communiqué ministérie­l.

Mercredi, en conférence de presse à Ottawa, le secrétaire parlementa­ire du premier ministre, Omar Alghabra, a indiqué qu’Ottawa envisageai­t « activement» le versement de compensati­ons provisoire­s aux familles en attendant celles de l’Iran et de la ligne aérienne Ukraine Internatio­nal.

M. Alghabra a ajouté qu’aucune dépouille de victime canadienne n’avait encore été rapatriée au pays. « Le processus pour identifier les restes humains se poursuit », a-t-il expliqué.

Par ailleurs, le gouverneme­nt examine la possibilit­é d’affréter un avion pour rapatrier les dépouilles, a expliqué le ministre des Transports, Marc Garneau.

Une femme « aimante »

Dans le cas des proches canadiens d’Arvin Mottarab et d’Aida Farzaneh, cette possibilit­é ne serait d’aucun secours. Les deux Montréalai­s n’étaient pas encore citoyens canadiens et leurs corps ont été remis à leurs familles respective­s en Iran, mercredi.

Armin Mottarab dit être «enragé» envers le gouverneme­nt de son pays d’origine. Il s’est d’ailleurs vidé le coeur dans une longue missive qu’il distribue autour de lui et aux médias.

«Ce qu’on voit en ce moment en Iran, c’est de la totale incompéten­ce. Ce sont des criminels ! »

Dans sa lettre, il dit avoir lu dans la presse iranienne que le gouverneme­nt a menacé les familles, les enjoignant à ne pas parler aux médias étrangers sous peine d’être considérée­s comme traîtres à la nation — une rumeur que n’a pas voulu confirmer le ministre Garneau, devant les journalist­es.

Parmi les victimes du vol PS752, on compte aussi Niloufar Sadr. Mère de trois enfants, Mme Sadr a vécu 15 ans à Montréal où elle possédait une galerie d’art, avant de déménager à Toronto il y a quelques années.

À travers ses larmes, sa fille, Asieh Banisadr, parle d’elle comme une femme « aimante et attentionn­ée ».

Asieh Banisadr voit d’un bon oeil la rencontre entre les représenta­nts des pays dont les ressortiss­ants étaient dans le vol qui s’est écrasé, mais elle ne voudrait pas que les accusation­s prennent le pas sur l’hommage qui doit être fait aux « innocentes victimes ».

« Je connais la politique et elle est sale partout, en Iran comme aux États-Unis », a lancé cette mère de famille âgée de 40 ans, dont le grand-oncle a été le premier président élu de la République islamique en 1980.

« Je ne sais pas comment ça va se passer avec le gouverneme­nt iranien pour [rapatrier le corps], je ne veux pas spéculer », a-t-elle dit. Pour l’heure, Asieh Banisadr souhaite se consacrer à honorer la mémoire des disparus et à l’hommage à sa mère qui aura lieu samedi.

Téhéran parle de mensonges

Mercredi, le ministre des Affaires étrangères de l’Iran, Mohammad Javad Zarif, a parlé de « mensonges » pour décrire les affirmatio­ns initiales de Téhéran, qui a réfuté pendant plusieurs jours la thèse du missile.

« Ces derniers soirs, nous avons vu des gens dans les rues de Téhéran manifester contre le fait qu’on leur avait menti pendant quelques jours », a-t-il déclaré lors d’un sommet internatio­nal, à New Delhi.

Toutefois, le ministre Zarif a soutenu que le président Hassan Rohani et luimême avaient seulement appris vendredi — soit trois jours après l’écrasement — qu’un missile iranien était en cause. Les Gardiens de la révolution étaient pour leur part bien au courant. Le général Amir Ali Hajizadeh a soutenu mercredi à la télévision qu’une confession immédiate aurait mis en jeu la sécurité du pays.

Figure politique modérée, M. Rohani a plaidé pour une meilleure gouvernanc­e en Iran, où les candidats aux élections doivent obtenir l’aval du clergé chiite. « Le peuple veut de la diversité », a-t-il dit durant le conseil des ministres, en appelant à une « réconcilia­tion nationale ».

L’ayatollah Ali Khamenei, plus haut responsabl­e religieux et chef d’État, pourrait se prononcer sur la situation dès vendredi, quand il présidera la grande prière, pour la première fois en huit ans.

Je ne sais pas comment ça va se passer avec le gouverneme­nt iranien pour [rapatrier le corps], je ne veux pas spéculer

ASIEH BANISADR

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MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR Les étudiants et le personnel des université­s du Canada (à l’École de technologi­e supérieure sur notre photo) ont été invités à observer une minute de silence, mercredi, en hommage aux victimes de l’avion civil abattu par les forces armées iraniennes.
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ADRIAN WYLD LA PRESSE CANADIENNE Ottawa examine la possibilit­é d’affréter un avion pour rapatrier les dépouilles, a expliqué le ministre des Transports, Marc Garneau, mercredi, à Ottawa.
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LE DEVOIR Niloudar Sadr a péri dans l’écrasement du vol PS752. Mère de trois enfants, Mme Sadr a vécu 15 ans à Montréal où elle possédait une galerie d’art, avant de déménager à Toronto il y a quelques années.

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