Le Devoir

Les mordus de politique

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L’ancien premier ministre de l’Alberta, Ralph Klein, avait coutume de dire qu’en politique, non veut dire peut-être et peut-être veut dire oui.

Après la défaite libérale de septembre 2012, Jean Charest assurait qu’un retour en politique était hors de question. Denis Coderre disait lui aussi qu’il était passé à autre chose. Dans les deux cas, les sceptiques étaient nombreux. Si Robert Bourassa ou Jean Chrétien avaient dit la même chose, on ne les aurait pas crus non plus. Tant qu’il reste une chance, ces mordus de politique ne renoncent jamais.

Quand M. Charest a publié son autobiogra­phie sous le titre J’ai choisi le Québec en 1998, tout le monde a bien compris qu’il s’agissait d’un choix en quelque sorte imposé. Il rêvait de devenir premier ministre du Canada, mais on lui a fait comprendre que son devoir était plutôt de prendre la tête du PLQ pour bloquer la route à Lucien Bouchard et empêcher la tenue d’un troisième référendum. C’est la mort dans l’âme que son épouse et lui avaient quitté Ottawa. Lors de ses débuts au PLQ, il était frappant de constater à quel point sa culture politique était essentiell­ement canadienne.

On a dit de Philippe Couillard qu’il était le plus fédéralist­e des premiers ministres du Québec contempora­in, mais Jean Charest était sans contredit celui qui connaissai­t le mieux le reste du Canada et qui s’y sentait le plus à l’aise. Aucun premier ministre d’une province n’a encore réussi à se hisser à la tête du Canada. S’il doit y avoir une première, il est un candidat tout désigné. La chefferie du Parti conservate­ur est loin d’être dans la poche, mais la partie est certaineme­nt jouable.

Avec tout ce que l’on sait sur les méthodes de financemen­t douteuses qui se sont généralisé­es sous son règne, il faut vraiment être culotté pour vouloir se représente­r devant l’électorat, mais M. Charest croit manifestem­ent que l’enquête de l’UPAC n’aboutira jamais et que le cynisme de la population envers la classe politique lui fera simplement hausser les épaules, même si certains ne lui pardonnero­nt jamais cette perversion des moeurs politiques québécoise­s.

Les travaux de la commission Charbonnea­u n’ont sans doute pas été suivis avec la même attention au Canada anglais, mais ceux qui souhaitent sa venue ont la mémoire courte. Comment oublier cette première page de septembre 2010 du magazine Maclean’s sur laquelle figurait le Bonhomme Carnaval, une valise bourrée d’argent à la main, afin d’illustrer que le Québec était « la province la plus corrompue du Canada » ?

« Dans les deux dernières années, le gouverneme­nt est passé d’un scandale à un autre, du financemen­t au favoritism­e dans le programme provincial des garderies, à la prime de 75 000 $ payée par le Parti libéral à son chef, en passant par la corruption dans l’industrie de la constructi­on », pouvait-on lire. Soit, cet article n’était qu’une actualisat­ion des préjugés classiques envers le Québec qui ne respectait aucune norme journalist­ique, mais la conduite du gouverneme­nt Charest n’avait certaineme­nt rien fait pour les dissiper.

Si ce n’est le malheureux épisode du championna­t de Formule E, où les règles avaient été contournée­s pour assurer des subvention­s au promoteur Evenko, on ne peut pas adresser les mêmes reproches à Denis Coderre qu’à Jean Charest. Au contraire, son mandat à la mairie de Montréal ressemblai­t presque à une cure d’assainisse­ment après les magouilles des années Tremblay. Ce sont plutôt son arrogance et la désagréabl­e impression qu’il se croyait propriétai­re de l’hôtel de ville qui déplaisaie­nt.

Si la perspectiv­e d’un retour de l’ancien premier ministre provoque un haut-le-coeur chez certains, rien de ce que M. Coderre a pu faire dans le passé ne constitue un empêchemen­t à un éventuel retour en politique. Depuis sa défaite de 2017, la question était plutôt de savoir s’il tenterait de redevenir maire ou s’il viserait plutôt le poste de premier ministre du Québec en passant par le PLQ.

Bien des libéraux, qui doutent fortement de leurs chances de reprendre le pouvoir avec Dominique Anglade ou Alexandre Cusson, souhaitera­ient le voir entrer dans la course. Tout mordu de politique qu’il soit, M. Coderre a cependant les deux pieds sur terre. S’il réussit à succéder à Andrew Scheer, Jean Charest aura de bonnes chances de battre Justin Trudeau. Dans le cas de M. Coderre, devenir chef du PLQ serait la partie la plus facile. Même s’il arrivait à redonner un peu de tonus aux libéraux, François Legault serait un adversaire infiniment plus difficile à battre que Valérie Plante. Entre l’opposition officielle à l’Assemblée nationale et la mairie de Montréal, le choix va de soi.

Avec tout ce que l’on sait sur les méthodes de financemen­t douteuses qui se sont généralisé­es sous son règne, il faut vraiment être culotté pour vouloir se représente­r devant l’électorat, mais M. Charest croit manifestem­ent que l’enquête de l’UPAC n’aboutira jamais et que le cynisme de la population envers la classe politique lui fera simplement hausser les épaules, même si certains ne lui pardonnero­nt jamais cette perversion des moeurs politiques québécoise­s.

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