Pratique absurde
Lundi s’ouvre cette espèce de course pour déposer des demandes de parrainage de réfugiés aux bureaux montréalais du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI). Comme l’a rapporté Le Devoir, des familles se préparent à passer la nuit dehors, voire le dimanche tout entier, pour être parmi les premières à déposer leurs dossiers de parrainage de réfugiés. C’est qu’il n’y a que 100 demandes valides qui seront considérées en tenant compte du moment précis où elles seront déposées, dès l’ouverture des bureaux du ministère. C’est premier rendu, premier servi.
Le nombre de dossiers de parrainage que des particuliers ont préparés — ce qu’on désigne sous le vocable « Groupe de 2 à 5 personnes » au ministère par opposition aux organismes qui s’occupent de parrainages — dépasse largement le nombre de places réservées aux réfugiés qui empruntent cette voie pour s’établir au pays.
La dernière fois que le MIFI a ouvert ses portes pour recevoir de nouvelles demandes de parrainage de réfugiés, en septembre 2018 sous un gouvernement libéral, des personnes avaient passé la nuit dehors afin que leurs dossiers soient pris en compte. Certains s’étaient parqués sur le trottoir dès 16 heures la veille, assis sur des chaises de camping, pour s’assurer d’une place. Mais nous n’étions pas au coeur de l’hiver.
On estime qu’environ 700 dossiers avaient été préparés par des particuliers alors que 100 ont été retenus. Cette fois-ci, le ministère tente d’éviter que les gens attendent dehors, sans qu’on sache si ses mesures d’atténuation auront un effet.
Ce qui complique les choses, c’est que le MIFI, en vertu du règlement édicté par le ministre, ne reçoit que les dossiers qui sont transmis à ses bureaux par des messagers. Selon les explications qu’il a fournies, on veut ainsi que les dossiers provenant de l’extérieur de la Communauté métropolitaine de Montréal ne soient pas désavantagés. Or, à moins de payer une forte somme à un coursier pour qu’il fasse la file pendant des heures, ce sont les demandeurs avec leurs dossiers qui font le pied de grue, cédant leur place à un messager juste avant l’ouverture des bureaux. Il semble que certains messagers aient flairé la bonne affaire et en profitent pour exiger des frais exorbitants.
C’est un bizarre de système et on ne sait s’il permet véritablement aux demandes provenant de l’extérieur de la grande région de Montréal d’être traitées équitablement. Il n’est pas dit que des gens de Québec ou de SeptÎles ne doivent pas faire le voyage de toute façon.
Un système de loterie permettrait aux demandeurs de déposer leurs dossiers sans faire la file — la sélection s’effectuant par tirage sans égard à leur ordre d’arrivée. Mais on soutient qu’Immigration Canada l’aurait utilisé pour la réunification familiale et que les résultats n’avaient pas été concluants.
En 2015, nombre de Québécois avaient réagi à la crise des réfugiés syriens en proposant d’assurer leur parrainage, c’est-à-dire s’en porter garants et assumer une bonne part de leurs frais de subsistance. Le parrainage des réfugiés coûte beaucoup moins cher à l’État que s’il les prend à sa charge. En outre, il favorise l’intégration des nouveaux arrivants en raison de l’engagement de personnes dévouées.
En 2016, le Québec avait accueilli 8100 réfugiés sélectionnés par le MIFI à l’étranger et environ 6500 les deux années suivantes. Le plan d’immigration 2020, dévoilé par le ministre Simon Jolin-Barrette, prévoit de n’en admettre qu’entre 4500 et 5500. De ce nombre, 1350 réfugiés seront pris en charge par l’État et entre 3200 et 3350 sont visés par un parrainage collectif, principalement par des organismes, issus notamment de communautés religieuses. Ainsi, comme en septembre 2018, l’ouverture du programme lundi, outre les 100 demandes présentées par des particuliers, porte sur 650 dossiers, qui proviennent de ces organismes mais qui sont déjà entre les mains du ministère.
Or, comme pour les immigrants travailleurs qualifiés, la réduction des seuils d’immigration décrétée par le gouvernement Legault contribue à gonfler le nombre de dossiers en attente qui touchent des réfugiés parrainés.
Ce n’est pas une raison pour procéder de cette façon : il y a quelque chose de soviétique dans cette file de gens qui poireautent pendant toute une nuit, et plus longtemps même, à la porte de bureaux gouvernementaux.
Cette pratique absurde trahit une forme d’insensibilité de la part d’un ministère dont l’objet est de traiter humainement des personnes immigrantes, et aussi les gens qui s’offrent pour en prendre la charge. Ce n’est rien pour renipper l’image d’un ministre rigide qui ne s’est pas distingué jusqu’ici par sa sensibilité et son empathie.