Le Devoir

Pour une consultati­on populaire sur l’avenir du cours ECR

- Jean-Pierre Proulx Journalist­e et professeur retraité

Attaqué pour cause de multicultu­ralisme, pour camouflage confession­nel, pour fabulation irrationne­lle, pour propagande «antifémini­ne» et quoi encore, le cours ECR s’est retrouvé pris sous le feu croisé des idéologies diverses qui ont marqué la dernière décennie.

Cette opposition multiforme a fini par emprunter la voie politique. En 2017, des militants ont lancé une pétition à l’Assemblée nationale réclamant « de retirer le volet “culture religieuse” du cours ECR ». Elle a recueilli près de 5400 signatures. Elle a reçu aussi l’appui du chef du Parti québécois, Jean-François Lisée. Son chef intérimair­e, M. Pascal Bérubé, confirmait plus tard cette position. De son côté, lors de son congrès de 2017, la CAQ promettait aussi l’abolition du cours au primaire.

Vingt ans plus tôt, le 26 mars 1977, Mme Marois, alors ministre de l’Éducation, déclarait à l’Assemblée nationale : « Dans le contexte d’une société pluraliste, serait-il souhaitabl­e que tous les élèves reçoivent une certaine formation au sujet du phénomène religieux, des cours de culture religieuse intégrant les diverses grandes traditions, des cours d’histoire des religions?» Elle se faisait à cet égard l’écho des états généraux sur l’éducation de 19741975 et d’un avis du Conseil supérieur de l’éducation.

Champ libre

Pour répondre à cette question, elle a créé le Groupe de travail sur la place de la religion à l’école que j’ai eu l’honneur de présider. Après un an et demi de réflexion et de travail, il a répondu « oui » à la question de Mme Marois. Il a proposé et justifié longuement (outre la laïcisatio­n générale du système scolaire) la création d’un cours non confession­nel « d’enseigneme­nt culturel des religions obligatoir­e pour tous ».

C’est à François Legault, successeur de Mme Marois, que le Groupe de travail a remis son rapport le 29 mars 1999. M. Legault, devant les milieux catholique­s traditiona­listes, n’a pas osé donner suite à la recommanda­tion sur l’enseigneme­nt culturel. Le cours ne sera mis en place qu’en 2008 sous le ministre libéral Jean-Marc Fournier. Mais aujourd’hui, le vent a tourné. Les mouvements pro-confession­nalité sont disparus et l’épiscopat québécois s’est résigné. Les laïcistes athées ont alors occupé le champ libre. Ils viennent de gagner.

Que s’est-il donc passé ? D’abord, la religion est progressiv­ement devenue dans l’opinion publique en général une réalité très négative. Le scandale des prêtres et des religieux pédophiles a entaché lourdement l’image et la crédibilit­é de la religion catholique ; la position de l’Église sur l’inégalité des femmes quant aux fonctions ministérie­lles produit le même effet.

Par ailleurs, bien des Québécois sont suspicieux envers l’islam en raison du terrorisme qu’on observe dans les pays musulmans et qui a percolé jusque chez nous. La place faite aux femmes dans cette religion a transpiré, mais dans l’ambiguïté, jusque dans le débat sur le projet de loi 21 sur la laïcité.

Ensuite, la sécularisa­tion du Québec amorcée dans les années 1960 s’est accélérée. Elle est marquée par la prise de distance des citoyens, même encore croyants, par rapport au discours des religions, et par leur indifféren­ce. Un indice ? Son absence à peu près totale dans les médias, sauf pour les scandales !

Avant d’écarter un projet pédagogiqu­e réfléchi comme le fut ECR, Québec devrait mener une consultati­on générale, et en particulie­r auprès des parents

Cette indifféren­ce a fini par atteindre la classe politique. Elle est à cet égard à l’image de la population, mais par contre sensible aux mouvements d’opinion. Cette indifféren­ce est aussi observable dans l’appareil gouverneme­ntal. Tous les programmes ministérie­ls doivent en principe faire l’objet d’une évaluation tous les dix ans. Malgré les demandes répétées des intéressés, rien n’a été fait concernant ECR, malgré la promesse de 2016 de l’ex-ministre Sébastien Proulx.

Comité inopérant

Le comité sur les affaires religieuse­s est même devenu inopérant depuis 2011. Le projet de loi 40 de M. Roberge propose d’ailleurs de l’abolir, comme il propose d’abolir le droit des élèves à « des services d’animation spirituell­e et communauta­ire ». « Who cares ? »

Aux yeux du ministre Roberge, le sort du programme semble donc bel et bien décidé. Pourtant, en février 2019, il promettait de le réviser pour accorder une plus grande place à l’athéisme. « C’est une fausse bonne idée, l’abolition pure et simple du cours d’ECR pour amener de la laïcité », déclarait-il. Moins d’un an plus tard, il a changé d’idée : le cours sera aboli. Allez savoir pourquoi. Il sera remplacé par un salmigondi­s d’éléments disparates issus de l’air du temps !

Avant d’abandonner un projet pédagogiqu­e réfléchi comme le fut ECR, le gouverneme­nt Legault devrait mener une consultati­on générale, et en particulie­r auprès des parents. Par trois fois, en 2010, 2012 et 2015, les Québécois ont, dans des proportion­s tournant autour de 63 %, déclaré qu’ils voulaient que ce cours demeure, soit le même score que pour la loi 21 !

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