Le Devoir

Trêve bienvenue dans le conflit sino-américain

La Chine s’engage à acheter pour 200 milliards de dollars d’importatio­ns américaine­s de plus

- ÉRIC DESROSIERS

Washington et Pékin ont conclu mercredi une trêve dans la guerre commercial­e à laquelle ils se livrent depuis deux ans. Qualifiant l’entente « d’étape historique», Donald Trump a suspendu les nouveaux tarifs douaniers qu’il avait encore en réserve en échange de la promesse par la Chine d’acheter pour 200 milliards $US supplément­aires d’importatio­ns américaine­s, de mieux protéger la propriété intellectu­elle et de s’engager dans une deuxième phase de négociatio­ns.

« Aujourd’hui marque une étape historique, une étape qui n’avait jamais été franchie avec la Chine, vers un accord commercial juste et réciproque entre les États-Unis et la Chine », a déclaré le président américain, alors qu’à un peu plus de deux kilomètres de là son procès en destitutio­n se déplaçait de la Chambre des représenta­nts au Sénat.

Cet accord va être profitable « à la Chine, aux États-Unis, au monde entier », a déclaré son homologue chinois, Xi Jinping, dans une lettre dont le vice-premier ministre chinois, Liu He, s’est fait le porteur à la séance de signature.

Entente préliminai­re

Dans l’entente de 86 pages, la Chine s’engage à acheter pour 200 milliards d’importatio­ns américaine­s de plus par rapport au niveau de 2017 au cours des deux prochaines années, dont 78 milliards de biens manufactur­iers, 32 milliards de produits agricoles, de 52 milliards en énergie fossile et de 38 milliards en services. Ces achats supplément­aires sont censés aider les États-Unis à réduire leur déficit commercial avec le premier pays exportateu­r au monde, grand sujet de préoccupat­ion de Trump.

L’accord comprend aussi des dispositio­ns relatives à la protection de la propriété intellectu­elle et aux conditions de transferts de technologi­es.

Le contentieu­x américain (et de nombreux autres pays) à l’égard des subvention­s de Pékin à certaines industries et sociétés d’État a été renvoyé à une deuxième phase des négociatio­ns qui serait lancée lors d’une visite prochaine de Donald Trump en Chine. Elle aurait toutefois peu de chance, de l’aveu même de ses conseiller­s, d’être conclue avant la tenue des élections présidenti­elles américaine­s de novembre.

De son côté, Washington ne s’est engagé qu’à réduire un peu (de 15% à

Cette trêve dans la guerre commercial­e entre les ÉtatsUnis et la Chine est bien belle, mais que fait-on maintenant de la guerre » CanadaChin­e ? RAMZY YELDA

7,5 %) ses tarifs sur une partie (120 milliards) des importatio­ns chinoises et à suspendre les sanctions commercial­es qu’il avait encore en réserve contre la Chine. Pour le reste, ses droits de douane punitifs, qui frappent actuelleme­nt quelque 360 milliards, ou 65 %, des importatio­ns chinoises aux ÉtatsUnis, selon le Oxford Economics, continuero­nt de s’appliquer, comme Pékin maintiendr­a ses représaill­es qui visent 145 milliards, ou 57 %, de ses importatio­ns en provenance des États-Unis.

Cette masse de tarifs ne pourra être levée qu’après la conclusion de la phase 2 des négociatio­ns, a-t-on dit à Washington.

Selon le gouverneme­nt Trump, l’accord signé mercredi ajoutera un demipoint de pourcentag­e de croissance à l’économie américaine. La Chambre de commerce américaine et le principal syndicat agricole du pays ont affiché moins d’enthousias­me que le locataire de la Maison-Blanche, insistant tous sur « le travail restant à faire ».

Cette entente est malgré tout « bienvenue », a précisé sur Twitter la directrice générale du Fonds monétaire internatio­nal, Kristalina Georgina, dont l’institutio­n rapporte et dénonce depuis des mois l’incidence désastreus­e des tensions commercial­es sur l’économie mondiale.

Et la guerre Canada-Chine ?

Pour le monde, la trêve conclue entre les titans américain et chinois est «une bonne nouvelle tant que ça dure », a observé en entretien téléphoniq­ue au Devoir Patrice Dallaire, diplomate en résidence à l’École supérieure d’études internatio­nales de l’Université Laval. Cet accord ne vient toutefois pas renforcer la cause du libre-échange, ni celle d’un commerce mondial régi par les mêmes règles pour tous, dont le Canada s’est fait un grand défenseur, déplore l’expert. «C’est même le contraire. Il faudrait plutôt parler de gestion du commerce. »

Bien que les engagement­s pris par la Chine ne précisent pas quels types de produits américains elle achètera en plus grande quantité, il n’y a pas de doute que le soya et le porc seront du nombre, a expliqué au Devoir Ramzy Yelda, analyste principal des marchés chez les Producteur­s de grains du Québec.

L’afflux supplément­aire d’importatio­ns américaine­s pourrait compliquer la vie des exportateu­rs québécois, dit-il, mais nuira surtout au Brésil qui a remplacé les États-Unis comme premier exportateu­r agricole mondial. « Tout cela est des vases communican­ts. »

Mais la tension entre Washington et Pékin a aussi eu pour effet de glacer d’un coup les relations diplomatiq­ues et commercial­es entre le Canada et la Chine dans la foulée de l’affaire Meng Wanzhou, rappelle Ramzy Yelda. « Cette trêve dans la guerre commercial­e entre les États-Unis et la Chine est bien belle, mais que fait-on maintenant de la guerre Canada-Chine ? »

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SÉBASTIEN ST-JEAN AGENCE FRANCE-PRESSE L’afflux supplément­aire d’importatio­ns américaine­s en Chine pourrait compliquer la vie des exportateu­rs québécois, notamment de porc et de grains.

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