Le Devoir

Une entente bienvenue

- GÉRARD BÉRUBÉ

Cette trêve — certains concluront à une trêve de façade — dans ce conflit commercial vieux de près de deux ans est la bienvenue. Un accord partiel, de phase I, est signé entre les deux plus grandes puissances économique­s, suspendant une dynamique d’escalade et de surenchère­s tarifaires plutôt coûteuse pour les deux protagonis­tes et contre-productive pour l’économie mondiale.

Car l’accord partiel signé entre la Chine et les États-Unis n’aborde en rien les divergence­s de fond entre les deux belligéran­ts. Surtout, il maintient les tarifs punitifs américains sur 65 % des importatio­ns chinoises et les tarifs de représaill­es chinois sur 57 % des importatio­ns américaine­s, selon les données du Peterson Institute of Internatio­nal Economics. Tout au plus vient-il cristallis­er la rhétorique de sanctions sous-jacente à l’approche du gouverneme­nt Trump en matière de politique commercial­e priorisant les accords commerciau­x bilatéraux.

À Washington, on se réjouit notamment de l’engagement de la Chine à acheter pour 200 milliards de dollars de produits américains supplément­aires au cours des deux prochaines années, sans égard à la capacité des producteur­s américains d’y répondre et au profil réel des importatio­ns chinoises. Mais un Donald Trump voyant dans un déficit commercial un signe de grande faiblesse économique ne peut que s’en féliciter.

Cette trêve, tributaire du respect des engagement­s, devrait réduire de moitié, à 0,1 point de pourcentag­e, l’impact prévu pour 2020 des sanctions douanières sur la croissance réelle du PIB américain, selon les calculs de la firme de recherche Oxford Economics. Pour 2019, l’impact estimé sur la croissance réelle américaine est d’environ 0,3 point, et celui sur le PIB chinois, de 0,8 point. Avec un PIB (nominal) respectif de 20 500 milliards $US et de 13 400 milliards $US, les dommages causés par cette guerre commercial­e se veulent sensibles. S’ajoutent l’aide totalisant 28 milliards consentie aux agriculteu­rs touchés par la guerre commercial­e et le coût direct de plus de 40 milliards absorbé par les entreprise­s américaine­s après les 18 premiers mois de conflit.

Pour autant, l’excédent commercial de la Chine avec les États-Unis est certes passé de 323 milliards à 296 milliards entre 2018 et 2019, mais pour se maintenir au-dessus des 268 milliards comptabili­sés en 2017, avant le déclenchem­ent des hostilités.

Quant aux retombées de la trêve, Oxford évalue qu’en près de deux ans d’affronteme­nts, le flux commercial bilatéral entre les deux pays a été réduit de 150 milliards, ou de 15%, l’essentiel ayant été redirigé vers d’autres pays. Il en ira ainsi de l’engagement chinois de

L’accord partiel signé entre la Chine et les États-Unis n’aborde en rien les divergence­s de fond entre les deux belligéran­ts

l’accord, qui prendra la forme d’une diversion des échanges et non d’ajout au commerce.

Effet collatéral

Mais le gros de l’effet collatéral demeure. Il prend la forme d’une perte de pouvoir d’achat, pour les producteur­s et les ménages, dans les pays utilisant l’arme des tarifs douaniers, d’un ralentisse­ment économique, local et mondial, et d’une frilosité des investisse­ments des entreprise­s. Des pans entiers de l’économie américaine — agriculteu­rs, manufactur­iers, sidérurgis­tes… — ressentent pleinement l’effet des tensions sur les prix des matières premières et sur la perte de marché.

Des entreprise­s subissent par surcroît une désorganis­ation des chaînes d’approvisio­nnement et une augmentati­on des coûts. Le profit des entreprise­s américaine­s a chuté l’an dernier, après une année 2018 dominée par une réduction du taux d’imposition, plus de 40 % des entreprise­s inscrites en Bourse ayant évoqué l’impact des tarifs douaniers dans leurs rapports financiers. La croissance moyenne du bénéfice par action des entreprise­s composant l’indice MSCI États-Unis est évaluée à 1,1 % en 2019, contre 24,2% en 2018, selon les données de la Banque Nationale.

À l’internatio­nal, le FMI chiffrait en octobre entre 0,6 et 0,8%, ou entre 500 et 700 milliards sur un an, l’amputation du PIB mondial selon l’ampleur des sanctions douanières. On constatait déjà un ralentisse­ment mondial synchronis­é, avec une croissance du commerce se maintenant autour du point mort. Pour leur part, les pays en voie de développem­ent se voyaient repoussés vers la pauvreté, subissant une diminution des investisse­ments étrangers dont ils ont tant besoin et subissant l’érosion des chaînes de valeur.

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