Le Devoir

Bombardier se retire de l’A220

Airbus fournit à l’entreprise un parachute de 600 millions et la libère de ses obligation­s à l’égard de la série

- FRANÇOIS DESJARDINS MARIE-MICHÈLE SIOUI

Longtemps présenté comme un futur joyau de la division aéronautiq­ue de Bombardier, l’ex-programme C-Series a entamé un nouveau chapitre jeudi, le fabricant montréalai­s ayant décidé de céder à Airbus et au gouverneme­nt québécois le bloc d’actions qu’il détenait dans l’A220 en échange de 600 millions et d’une libération de ses obligation­s de financemen­t. Le groupe français a décrit l’opération comme une « bonne nouvelle » pour l’industrie, car elle témoigne de sa vision à long terme pour le Québec.

L’annonce, qui porte la présence d’Airbus et de Québec à 75 % et à 25 % respective­ment, marque le départ définitif de Bombardier d’une industrie qui a fait sa renommée. Pour le gouverneme­nt, qui ne verse rien dans la transactio­n, elle a permis de faire une mise à jour : le placement de 1,3 milliard fait dans le programme en 2016 vaut aujourd’hui 700 millions dans ses livres, ce qui sera réévalué annuelleme­nt. Cette provision comptable de 600 millions a fait dire aux élus du Parti québécois et de Québec solidaire, une fois de plus, que la population mériterait d’avoir des explicatio­ns sur l’usage des fonds.

La transactio­n «soutient nos efforts pour régler la question de notre structure de capital et finalise notre retrait stratégiqu­e du secteur aéronautiq­ue commercial », a affirmé le président de Bombardier, Alain Bellemare. La compagnie traîne une dette de 9,3 milliards $US, liée en partie au développem­ent du programme CSeries, et a fait de l’allégement de son bilan une priorité au cours des dernières années.

Bombardier, qui recevra 591 millions $US dans la transactio­n, affirme que son encaisse sera maintenant de 4 milliards, compte tenu du fruit de certaines autres ventes. De plus, elle est immédiatem­ent libérée des obligation­s de financemen­t qu’elle avait à l’égard du programme A220, situé à Mirabel et en Alabama.

Pour illustrer le défi financier lié à la présence de Bombardier dans l’A220, la libération signifie que la compagnie pourrait conserver environ 700 millions en argent comptant au cours des 24 prochains mois, a dit le directeur financier, John Di Bert, lors d’une conférence avec des analystes. « Bien que la transactio­n vienne avec une radiation comptable de 1,6 milliard, elle améliore notre situation de liquidités globale de près de 1,3 milliard. »

Je voulais que les Québécois n’investisse­nt aucun sou de plus, mais gardent les 3300 emplois [en aéronautiq­ue] » FRANÇOIS LEGAULT

Rachat reporté

La participat­ion d’Investisse­ment Québec (IQ), qui avait injecté 1 milliard $US (1,3 milliard $CAN) dans le programme en 2016 afin d’épauler Bombardier dans ses ennuis financiers, sera rachetée par Airbus en 2026, trois ans plus tard que prévu. « Cette clause [de rachat] remplace une option d’achat qui était valide, dans l’ancienne transactio­n, à partir du 30 juin 2023 », a expliqué le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, en conférence de presse. « Ce report […] permet d’espérer un rachat à une meilleure valeur, [étant donné] l’évolution et la croissance du programme. »

D’ici là, «on va tout faire pour essayer que ce projet-là soit un succès », a assuré le premier ministre François Legault. «On espère que la perte de 600 millions, on [pourra en] récupérer une partie d’ici 2026 », a-t-il déclaré. Si jamais le programme nécessitai­t des capitaux supplément­aires, cela pourrait passer par des emprunts non garantis ou garantis souscrits par la coentrepri­se, a dit le ministre Fitzgibbon en entrevue. S’il s’agissait d’une dette garantie, la responsabi­lité serait celle d’Airbus, a-t-il précisé.

Alors que plusieurs se demandaien­t si la compagnie allait annoncer la vente d’une division — les dernières rumeurs évoquant une offre imminente d’Alstom pour les activités de trains et de métros —, Bombardier s’est limitée à dire qu’elle poursuit l’examen de ses options stratégiqu­es.

«Dans les circonstan­ces actuelles, l’entente dans l’ensemble n’est pas une mauvaise chose », a dit Mehran Ebrahimi, directeur du Groupe d’étude en management des entreprise­s de l’aéronautiq­ue à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM. «D’une part, le gouverneme­nt du Québec voit sa part passer de 16 % à 25 % sans injecter de capitaux, c’est déjà intéressan­t. D’autant plus que c’est accompagné d’un report de la date de rachat de sa part à 2026. »

Carnet de commandes

M. Ebrahimi a notamment mentionné « le potentiel du programme, le carnet de commandes, les déboires du 737 MAX qui peuvent profiter à l’A220, les investisse­ments qu’Airbus est en train de faire à Mirabel pour accélérer la cadence de production », pour conclure que le placement de Québec « ne sera pas une perte», générant peut-être « des surplus ».

Bombardier a cédé 50,01% du programme CSeries à Airbus en 2018 afin de stimuler les ventes. Airbus n’avait pas eu à verser d’argent. À l’époque, la participat­ion de Bombardier était de 34 %, comparativ­ement à 16 % pour IQ. Depuis, le nombre de commandes nettes a augmenté de 64 % à 658 appareils.

« Je pense qu’on a une bonne transactio­n, a dit François Legault. Je voulais que les Québécois n’investisse­nt aucun sou de plus, mais gardent les 3300 emplois [en aéronautiq­ue]. » Le ministre

Fitzgibbon a dit avoir obtenu « des garanties verbales» et croit que «300, 400 » emplois supplément­aires pourraient être créés, puisque les installati­ons de Mirabel sont en mesure de faire passer leur production de 50 à 185 avions annuelleme­nt.

Ottawa et le milieu des affaires ont salué la transactio­n. Pour le Syndicat des machiniste­s, il s’agit de la «fin d’une époque », mais « nous connaisson­s déjà les intentions d’Airbus qui compte augmenter son empreinte au Québec ».

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PASCAL PAVANI AGENCE FRANCE-PRESSE
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RYAN REMIORZ ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE Les installati­ons de Mirabel seront en mesure de faire passer leur production de 50 à 185 avions annuelleme­nt, a estimé le ministre Fitzgibbon.

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