Une école à bout de souffle
« L’école », c’est tout le personnel qui porte une responsabilité inhumaine à bout de bras
J’avais espoir, en vain, qu’on propose un plan de retour à l’école progressif et réfléchi
L’école publique est à bout de souffle. J’avais espoir que cette pandémie amène au moins, comme point positif, un respect nouveau pour la profession enseignante. J’avais espoir, en vain, qu’on propose un plan de retour à l’école progressif et réfléchi. À la place, le « plan » consiste à donner toute la responsabilité à l’école. Ce sera à l’école de gérer la situation, parce que, comme le ministre Roberge l’a dit, il nous fait confiance et on est capable de s’en occuper. Cependant, le ministre a omis de préciser si une aide financière supplémentaire serait accordée pour aider l’école dans cette lourde tâche.
Pour une fois qu’on fait confiance aux enseignants, de quoi se plainton ? Pourtant… dans ce cas-ci, on peut penser que le message sousjacent est que l’école n’aura pas de budget supplémentaire, pas de ressources humaines et matérielles supplémentaires, parce que l’école est capable de gérer. Ce ne serait pas surprenant, puisque l’école a déjà le dos large.
Déjà, la semaine dernière, l’Association des pédiatres du Québec recommandait que le retour à l’école se fasse rapidement parce que les enfants avaient perdu leur filet de sécurité; que beaucoup ne recevaient plus de petits-déjeuners ; qu’il y avait moins d’appels à la DPJ. Nulle part, on ne faisait mention d’éducation.
Or, quelle est la mission de l’école ? Est-ce que ce ne serait pas l’éducation des enfants ? À l’université, les étudiants en enseignement suivent des cours de didactique des mathématiques et du français ; des cours de pédagogie et du développement de l’enfant, bref ils acquièrent les outils dont ils ont besoin pour accomplir leur rôle : enseigner.
De plus, lorsqu’on dit que « l’école est capable de gérer la situation » ou qu’elle doit recommencer à accueillir les enfants, de qui parle-t-on au juste ? « L’école », c’est qui ? On en parle comme d’une entité mythique, mais « l’école », c’est le personnel enseignant, le personnel de soutien, le personnel administratif, les éducatrices et éducateurs, qui portent cette responsabilité inhumaine à bout de bras. Comme les ressources et le financement diminuent constamment, ils doivent faire toujours plus avec moins.
« L’école » est désormais responsable de nourrir les enfants ; de veiller à leur sécurité ; d’écouter les enfants qui vivent des situations difficiles, comme un divorce. « L’école » doit s’occuper des élèves réfugiés, qui vivent un choc post-traumatique et qui ne parlent pas la langue de leur pays d’adoption. « L’école » doit panser les blessures des élèves, physiques et psychologiques. Ajoutez maintenant à cela que « l’école » sera chargée d’assurer la sécurité des élèves et du personnel pendant une pandémie. Dans les directions du ministère, on lit que les objets partagés par les élèves seront nettoyés après chaque utilisation ; que les mouchoirs utilisés par les élèves devront être jetés dans des poubelles à couvercle automatique ; que les surfaces et locaux seront lavés plusieurs fois par jour.
Qui s’occupera de mettre en place ces directives ? Est-ce que les écoles auront le budget pour engager le personnel de soutien et faire les achats nécessaires ? Ou est-ce qu’on va demander aux enseignants de s’en occuper ? Sans compter que dans plusieurs écoles, il n’y pas de lavabo dans chaque classe, qu’on manque régulièrement de savon et de papier pour s’essuyer les mains et que les toilettes sont désuètes et mal équipées. Comment, dans ces circonstances, peut-on s’attendre à ce que les directives soient respectées ?
Les enseignantes et enseignants ont hâte de retrouver leurs élèves et de pouvoir recommencer à faire ce qui les passionne, c’est-à-dire enseigner. Mais en leur demandant de gérer la « distanciation sociale » et l’application de mesures d’hygiène strictes sans leur fournir d’indications précises sur la manière dont ces concepts seront appliqués concrètement, le gouvernement impose à « l’école », et principalement aux enseignants, une responsabilité qui dépasse leurs compétences et qui les place dans un rôle pour lequel ils ne sont pas prêts.
L’éducation publique au Québec est en danger. « L’école » est à bout de souffle. Une fois pour toutes, il faut dire, « Assez, c’est assez ! » C’est une question de survie.