Le Devoir

Une école à bout de souffle

« L’école », c’est tout le personnel qui porte une responsabi­lité inhumaine à bout de bras

- Béatrice de Montigny Enseignant­e au primaire, Gatineau

J’avais espoir, en vain, qu’on propose un plan de retour à l’école progressif et réfléchi

L’école publique est à bout de souffle. J’avais espoir que cette pandémie amène au moins, comme point positif, un respect nouveau pour la profession enseignant­e. J’avais espoir, en vain, qu’on propose un plan de retour à l’école progressif et réfléchi. À la place, le « plan » consiste à donner toute la responsabi­lité à l’école. Ce sera à l’école de gérer la situation, parce que, comme le ministre Roberge l’a dit, il nous fait confiance et on est capable de s’en occuper. Cependant, le ministre a omis de préciser si une aide financière supplément­aire serait accordée pour aider l’école dans cette lourde tâche.

Pour une fois qu’on fait confiance aux enseignant­s, de quoi se plainton ? Pourtant… dans ce cas-ci, on peut penser que le message sousjacent est que l’école n’aura pas de budget supplément­aire, pas de ressources humaines et matérielle­s supplément­aires, parce que l’école est capable de gérer. Ce ne serait pas surprenant, puisque l’école a déjà le dos large.

Déjà, la semaine dernière, l’Associatio­n des pédiatres du Québec recommanda­it que le retour à l’école se fasse rapidement parce que les enfants avaient perdu leur filet de sécurité; que beaucoup ne recevaient plus de petits-déjeuners ; qu’il y avait moins d’appels à la DPJ. Nulle part, on ne faisait mention d’éducation.

Or, quelle est la mission de l’école ? Est-ce que ce ne serait pas l’éducation des enfants ? À l’université, les étudiants en enseigneme­nt suivent des cours de didactique des mathématiq­ues et du français ; des cours de pédagogie et du développem­ent de l’enfant, bref ils acquièrent les outils dont ils ont besoin pour accomplir leur rôle : enseigner.

De plus, lorsqu’on dit que « l’école est capable de gérer la situation » ou qu’elle doit recommence­r à accueillir les enfants, de qui parle-t-on au juste ? « L’école », c’est qui ? On en parle comme d’une entité mythique, mais « l’école », c’est le personnel enseignant, le personnel de soutien, le personnel administra­tif, les éducatrice­s et éducateurs, qui portent cette responsabi­lité inhumaine à bout de bras. Comme les ressources et le financemen­t diminuent constammen­t, ils doivent faire toujours plus avec moins.

« L’école » est désormais responsabl­e de nourrir les enfants ; de veiller à leur sécurité ; d’écouter les enfants qui vivent des situations difficiles, comme un divorce. « L’école » doit s’occuper des élèves réfugiés, qui vivent un choc post-traumatiqu­e et qui ne parlent pas la langue de leur pays d’adoption. « L’école » doit panser les blessures des élèves, physiques et psychologi­ques. Ajoutez maintenant à cela que « l’école » sera chargée d’assurer la sécurité des élèves et du personnel pendant une pandémie. Dans les directions du ministère, on lit que les objets partagés par les élèves seront nettoyés après chaque utilisatio­n ; que les mouchoirs utilisés par les élèves devront être jetés dans des poubelles à couvercle automatiqu­e ; que les surfaces et locaux seront lavés plusieurs fois par jour.

Qui s’occupera de mettre en place ces directives ? Est-ce que les écoles auront le budget pour engager le personnel de soutien et faire les achats nécessaire­s ? Ou est-ce qu’on va demander aux enseignant­s de s’en occuper ? Sans compter que dans plusieurs écoles, il n’y pas de lavabo dans chaque classe, qu’on manque régulièrem­ent de savon et de papier pour s’essuyer les mains et que les toilettes sont désuètes et mal équipées. Comment, dans ces circonstan­ces, peut-on s’attendre à ce que les directives soient respectées ?

Les enseignant­es et enseignant­s ont hâte de retrouver leurs élèves et de pouvoir recommence­r à faire ce qui les passionne, c’est-à-dire enseigner. Mais en leur demandant de gérer la « distanciat­ion sociale » et l’applicatio­n de mesures d’hygiène strictes sans leur fournir d’indication­s précises sur la manière dont ces concepts seront appliqués concrèteme­nt, le gouverneme­nt impose à « l’école », et principale­ment aux enseignant­s, une responsabi­lité qui dépasse leurs compétence­s et qui les place dans un rôle pour lequel ils ne sont pas prêts.

L’éducation publique au Québec est en danger. « L’école » est à bout de souffle. Une fois pour toutes, il faut dire, « Assez, c’est assez ! » C’est une question de survie.

Newspapers in French

Newspapers from Canada