Le Devoir

La culture dans les limbes : la chronique d’Odile Tremblay

Le cinéma Moderne propose trois oeuvres phares de la filmograph­ie de Romy Schneider en VsD

- FRANÇOIS LÉVESQUE

Romy Schneider fit ses débuts au cinéma en 1953, à 15 ans. L’année suivante, elle écrivit dans son journal : « C’est une sensation curieuse, quand je sors dans la rue maintenant. Parfois les gens se poussent du coude en disant : “N’est-ce pas Romy Schneider ?” Et ils me dévisagent. C’est agréable et agaçant à la fois. Je me sens tiraillée ». Cette ambivalenc­e ne quittera jamais celle qui, à une popularité aussi immense que précoce en Autriche, préféra le cinéma d’auteur en France, au point de devenir dans les années 1970 l’incarnatio­n de la Française contempora­ine. Les choses de la vie et surtout César et Rosalie, tous deux de Claude Sautet, y sont pour beaucoup. Le cinéma Moderne les propose en VsD dès

le 1er mai avec le déchirant L’important

c’est d’aimer, d’Andrzej Zulawski. « Femme libre, artiste accomplie, elle continue de fasciner encore aujourd’hui. Elle incarne la femme moderne, elle est l’image même de ces femmes qui, dans les années 1970, ont cherché à gagner leur liberté et la maîtrise de leur destin », résume la biographe Isabelle Giordano dans Romy Schneider film par film.

Sorti en 1970 pile, Les choses de la vie fut un film charnière autant pour Romy Schneider que pour Claude Sautet. À l’époque, la première venait de tourner

La piscine de Jacques Deray, avec Alain Delon, mais sortait d’un creux de vague profession­nel. En effet, après le succès de la saga Sissi du milieu jusqu’à la fin des années 1950, Romy Schneider voulut casser l’image prégnante de l’impératric­e bien-aimée et alterna durant les années 1960 projets hollywoodi­ens et « europuddin­gs » souvent peu mémorables. Le segment de Luchino Visconti dans Boccace 70, Le procès, d’Orson Welles, d’après Kafka, et Dix

heures et demie du soir en été, de Jules Dassin, d’après Duras, font exception et confirment un goût du risque ainsi qu’un désir de travailler avec des cinéastes dotés d’une vision. Mais voilà, après avoir tourné en moyenne trois films par an, voici qu’on l’oublia quelque peu. Ou qu’elle se désintéres­sa.

C’est dans ce contexte qu’elle arriva en France pour travailler avec Deray, puis qu’elle y resta pour enchaîner avec Sautet. Les choses de la vie fut le premier des cinq films qu’ils tournèrent ensemble. D’emblée, Sautet, qui lui n’était pas retourné derrière la caméra depuis quatre ans après l’échec de L’arme à gauche, fut subjugué. Dans une entrevue à l’émission Entrée libre, le biographe Jean-Pierre Lavoignat expliqua : « C’est une rencontre, ils le diront tous les deux, qui tient quasiment du miracle […] Ce qui le fascinait d’elle, c’était sa manière d’incarner le quotidien et de le dépasser ; elle le rehaussait à une dimension romanesque, presque lyrique. »

Récit d’un homme (Michel Piccoli) qui, tandis qu’il agonise après un accident de la route, se revoit auprès de son ex-femme (Lea Massari) et de sa conjointe actuelle (Romy Schneider),

Les choses de la vie triompha, jetant les bases du cinéma de Sautet et faisant de Schneider une star du cinéma français.

Une femme libre

Vint en 1972 César et Rosalie et un rôle plus étoffé pour l’actrice, celui d’une femme tiraillée (tiens) entre son amant présent (Yves Montand) et un second surgi du passé (Sami Frey). Chacun la veut pour lui, mais Rosalie ne s’en laisse pas imposer. Son statut de femme libre, qu’elle explicite dans l’une des répliques, marqua l’imaginaire.

À cet égard, Claude Sautet avait une idée bien arrêtée quant à la dynamique en présence. Dans l’ouvrage Sautet par Sautet, il relate : « Jean-Loup Dabadie et Claude Néron, les scénariste­s, percevaien­t très bien César, mais ils butaient sur Rosalie. À leurs yeux, c’était une emmerdeuse. Telle était leur théorie sur le personnage et il m’a fallu les convaincre que c’était plutôt elle qui était emmerdée. »

À terme, Rosalie choisit — se choisit. Comme d’ailleurs Marie, dans Une histoire simple, dernier long métrage du duo paru en 1978, et que le cinéaste offrit à l’actrice après qu’elle lui eut demandé « un film sans histoire de bonhomme ; un film qui parle des femmes ». On aurait adoré le voir inclus à la programmat­ion.

Dans un extrait daté de 1973 conservé par l’Institut national de l’audiovisue­l (INA), on peut entendre Claude Sautet dire : « Je n’ai jamais cherché à tourner avec Romy Schneider. Mais à chaque fois que j’écris le personnage de la femme, je cherche une actrice, et je n’arrive pas à en trouver une autre que Romy, parce qu’elle a une très grande force de caractère en face des hommes, et qu’elle oblige les hommes à ne pas se donner des masques de mannequin, ce qui les oblige à se montrer tels qu’ils sont. »

Autre registre et autre sensibilit­é pour

L’important c’est d’aimer, d’Andrzej Żuławski, basé sur le roman de Christophe­r Frank La nuit américaine (aucun lien avec celle de Truffaut). OEuvre de bruit et de fureur, le film conte les amours tragiques de Nadine, une actrice déchue qu’on découvre réduite à tourner de la porno.

Déchirée (ce motif, toujours) entre un photograph­e épris d’elle qui veut relancer sa carrière et un mari à la dérive envers qui elle se sent redevable, Nadine saura-t-elle formuler ce « je t’aime » qui l’effraie tant ?

En entrevue à L’Obs à l’occasion de la restaurati­on du film en 2011, Żuławski confia : « Je n’aurais jamais fait ce film sans Romy […] Chez elle, l’instinct primait. Elle savait pertinemme­nt qu’elle jouerait son expérience de vie et apparaîtra­it sans maquillage. Peu lui importait, du moment qu’on la photograph­iait de manière sincère. Je lui avais dit : “De toute façon, si c’est loupé, c’est sur moi que les coups pleuvront. Toi, tu seras la victime de ce connard de Polonais.” »

Mais ce ne fut pas « loupé ». Romy Schneider s’abandonna corps et âme dans ce rôle qui lui valut de remporter le tout premier César d’interpréta­tion féminine à être décerné, en 1976.

Ce calme inatteigna­ble

Des lauriers chers payés, toutefois. En effet, un tournage éprouvant et la fin abrupte d’une liaison avec son partenaire de jeu Jacques Dutronc l’affectèren­t beaucoup. Difficile, cette période la vit aussi perdre son fils, qui se blessa en escaladant un mur et périt des suites d’une hémorragie.

Aux prises avec des problèmes de dépression et de dépendance aux médicament­s, elle succomba dans la nuit du 28 au 29 mai 1982, à 43 ans, d’une vraisembla­ble surdose. Il ne fut jamais déterminé si celle-ci était volontaire ou accidentel­le : à l’époque, les autorités classèrent l’affaire sans procéder à l’autopsie d’usage afin, comme le rapporte David Lelait-Helo dans Romy,

« de ne pas casser le mythe ».

Dans une lettre quasi prophétiqu­e envoyée quatre ans plus tôt à son ami Claude Sautet juste avant d’entamer la production d’Une histoire simple, Romy Schneider écrivait : « Parfois ici, j’aime bien regarder les vieilles personnes seules, ou des vieux couples, à la fin de leur vie, avec ce calme qui n’est pas un vide. Pas toujours. Un calme que je n’atteindrai jamais peut-être, parce que je ne serai jamais vraiment vieille. Ta Ro. »

Les choses de la vie, César et Rosalie et L’important c’est d’aimer sont disponible­s en VsD sur cinemamode­rne.com

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IMAGES DE RIALTO PICTURES / STUDIO CANAL En 1970, le fllm Les choses de la vie, de Claude Sautet, triompha, faisant de Romy Schneider une star du cinéma français.
 ??  ?? César et Rosalie offrit un rôle plus étoffé pour Romy Schneider en 1972. Le statut de femme libre de Rosalie, qui ne s’en laisse pas imposer, marqua l’imaginaire.
César et Rosalie offrit un rôle plus étoffé pour Romy Schneider en 1972. Le statut de femme libre de Rosalie, qui ne s’en laisse pas imposer, marqua l’imaginaire.

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