Des employés prêts à s’enfermer avec les résidents en France
Dans plusieurs CHSLD français, une partie du personnel s’est volontairement confinée avec les personnes âgées afin d’éviter de leur transmettre le virus
On connaît le cas de ces employés qui ont déserté les CHSLD afin d’éviter d’affronter l’épidémie. En France, dans près d’une vingtaine de résidences de soins de longue durée (EHPAD), certains ont fait exactement le contraire. Ces confinés volontaires se sont enfermés jour et nuit avec les résidents pendant plusieurs semaines pour éviter de les contaminer.
« Au début, on nous a pris pour des fous. Mais, aujourd’hui, on est fiers de ce qu’on a fait et on le referait n’importe quand. » Avec 18 de ses employés, le 24 mars dernier, Pascal Ramirez s’est enfermé pendant trois semaines avec les 59 résidents de l’EHPAD Bergeron-Grenier qu’il dirige dans la petite ville de Mansle, en Charente. Un établissement où la moyenne d’âge des résidents dépasse 90 ans et qui compte même deux centenaires qui ont traversé à leur époque l’épidémie de grippe espagnole.
« Il y a six semaines, on ne savait rien de ce virus, dit Ramirez. Mais on savait qu’à Angoulême, il y avait déjà eu huit morts et qu’un médecin coordonnateur des EHPAD avait été atteint. On avait toutes les chances d’être touchés nous aussi. » Sans compter que la résidence ne possédait de plus que 450 masques, soit à peine de quoi tenir une semaine. À la suggestion de plusieurs, le directeur a donc réuni ses 36 employés afin qu’ils décident entre eux de la marche à suivre.
Le choix des employés
Dix-huit se sont aussitôt portés volontaires, le plus librement du monde, précise le directeur. Dans le groupe prêt à s’enfermer avec les résidents, il y avait deux infirmières, des aides-soignantes (préposées aux bénéficiaires), un cuisinier, une animatrice, une ergothérapeute, du personnel administratif et même un agent d’entretien. « Car, même en temps de confinement, la plomberie peut faire défaut », dit Ramirez. Quant aux autres employés, ils ont servi de relais avec l’extérieur, pour faire les courses par exemple. Tout un baptême du feu pour ce directeur d’EHPAD qui n’était en poste à Mansle que depuis le mois de décembre !
Dès la décision prise, la mairie a aidé les volontaires à se procurer des matelas dans un centre d’hébergement pour vacanciers. On les a disposés dans la chapelle, la salle de réunion et le secrétariat. Bref, partout où cela était possible. Comme l’établissement jouit d’un peu d’espace, les résidents pouvaient sortir chaque jour et même rencontrer leurs proches à la grille d’entrée tout en respectant les distances de sécurité. Pendant ces trois semaines, tous les résidents ont donc pu vivre normalement, sans masques et sans mesures d’enfermement.
Même si ces initiatives ont été découragées par certains services régionaux de santé, le professeur Joël Belmin de l’hôpital Charles Foix, à Paris, en a recensé 17 dans toute la France. « Ce sont des initiatives très originales et intéressantes qui ont suscité une véritable solidarité et manifesté un grand esprit d’abnégation de la part des employés qui ont accepté de mettre leur vie familiale de côté », dit-il. Le professeur de gériatrie qui se prépare à publier un article scientifique sur le sujet estime que l’efficacité réelle de ces expériences n’est évidemment pas absolue. Elle varie, dit-il, suivant les établissements et la rigueur avec laquelle elles ont été mises en oeuvre.
Une vague de sympathie
Si certains de ces confinements volontaires se sont interrompus au bout de trois semaines, d’autres se poursuivent toujours. À l’EHPAD de Corbas, près de Lyon, cela fait plus de 41 jours que 29 employés ont décidé de s’enfermer avec une centaine de pensionnaires. Depuis le 6 avril, la porte s’est un peu entrouverte et certains employés viennent tout de même de l’extérieur. Avec aujourd’hui 13 employés qui dorment toujours sur place, « on a réduit d’autant la possibilité de contaminer les résidents, explique la directrice, Valérie Martin. En évitant la contamination, on évite du coup de devoir confiner des patients dans leur chambre. Tous peuvent continuer à circuler librement. Sinon, on les condamne à une véritable mort sociale ».
Partout, ces employés dévoués ont suscité une grande vague de sympathie, notamment sur les réseaux sociaux. Cela ne s’est pourtant pas toujours fait sans heurts. À Mansle, Pascal Ramirez pourrait même devoir répondre de cette initiative devant un tribunal du travail pour n’avoir pas respecté certains règlements. « Comment voulez-vous respecter les règles et les horaires habituels dans des circonstances aussi exceptionnelles ? Pour nous, l’essentiel était d’assurer le bien-être de nos résidents. Et ça, je crois que les familles nous en sont reconnaissantes. »
Le week-end dernier, soit deux semaines après la fin de ce confinement complet, sept patients de l’EHPAD de Mansle ont commencé à présenter certains symptômes inquiétants. Même si Pascal Ramirez demeure optimiste et croit qu’il ne s’agit pas du coronavirus, il lui a été impossible de faire tester ces patients durant le week-end. Lundi, le directeur n’a reçu qu’un seul test. « Faute de tests, on est obligé de confiner ces patients dans leur chambre », dit-il. Dans l’établissement, on a même construit un mur amovible que l’on peut déplacer facilement selon les besoins du confinement.
À Corbas, Valérie Martin se félicite, elle, d’avoir toujours eu le soutien des délégués du personnel. Les derniers employés qui dorment encore dans la résidence rentreront chez eux dans quelques jours. Mais, prévient-elle, « on se prépare déjà à le refaire en mai ou en juin si jamais l’épidémie connaissait une seconde vague ».