Une rentrée scolaire sous tension en Chine
Deux mois avant leur examen final, les élèves de terminale de Pékin et de Shanghai ont retrouvé le chemin de l’école cette semaine dans un environnement réorganisé et sous haute surveillance.
Elle avait quitté ses camarades le 25 janvier, date des vacances du Nouvel An lunaire, et pensait les retrouver deux semaines plus tard. Trois mois après son dernier jour de classe, Liu Jialang, 18 ans, a enfin rejoint le chemin de son lycée de Pékin lundi matin. Mais devant les grilles de l’établissement, pas de câlins ni d’étreintes en guise de retrouvailles.
Les mesures sanitaires — désinfection, vérification du code QR et distanciation sociale, désormais ancrées dans les habitudes chinoises — l’interdisent. Dans les lycées de la capitale chinoise, qui ont rouvert leurs portes cette semaine, rejoignant le reste du pays, ces gestes régissent aussi le quotidien des étudiants autorisés à reprendre les cours lundi. « Notre température est prise à notre arrivée dans l’établissement. On doit aussi la communiquer au réveil et avant d’aller au lit dans un formulaire en ligne », explique Liu Jialang.
L’environnement des établissements scolaires a aussi été chamboulé par l’épidémie. « La capacité de notre salle de classe a été divisée par deux. Nous ne sommes plus que 30, chaque élève possède sa propre table désormais et on doit porter un masque toute la journée», poursuit la jeune Pékinoise. Le réfectoire a également été soumis à un nouvel agencement. Des cloisons ont été installées pour séparer les étudiants, qui peuvent enfin enlever leur masque le temps du repas. Pour le déjeuner, un roulement entre les différentes classes a été instauré pour éviter les attroupements, tout comme pour les pauses entre les cours. La cérémonie quotidienne de levée du drapeau national est dorénavant suivie de l’intérieur, les rassemblements dans la cour de récréation étant limités.
Bientôt le gaokao
Craignant toujours une deuxième vague de l’épidémie, la municipalité de
Pékin a été la dernière province à autoriser la réouverture des écoles, avec celle de Shanghai, l’autre mégapole chinoise. Mais les autorités locales ont procédé à une rentrée scolaire étalée. La priorité a été donnée aux quelque 50 000 élèves de terminale. Car à la fin de l’année se profile l’examen le plus important de leur cursus scolaire : le gaokao, l’équivalent chinois du baccalauréat [français], un examen titanesque qui juge la capacité d’assimilation des participants.
« L’heure tourne, c’est une bonne chose de revenir dans un environnement propice aux études, entourée de mes camarades », confie Liu, soulagée d’être rentrée mais anxieuse quant aux prochaines semaines. Le marathon de trois jours, traditionnellement organisé en juin, a exceptionnellement été repoussé d’un mois pour permettre aux 10 millions de lycéens concernés de se préparer à une échéance qui conditionne le futur de chaque citoyen.
La note obtenue au gaokao détermine le choix de l’université, une étape cruciale pour les participants et leur entourage. « Les parents accordent encore une grande importance à ce concours. En Chine, le concept de “la connaissance change le destin” est toujours très prégnant », explique Su, qui fournit une aide psychologique dans un établissement de la capitale.
Stress et anxiété
L’atmosphère anxiogène — provoquée par la crise sanitaire et le report régulier de la rentrée — a apporté son lot d’incertitudes chez les élèves, que le corps enseignant s’efforce de gérer dans la mesure du possible. « Les étudiants montrent nettement plus d’anxiété et de stress quant à l’examen. Ils ont l’impression d’avoir perdu un temps précieux, et objectivement c’est vrai qu’il y a du retard à rattraper. On multiplie les entretiens personnels pour les encourager et les motiver », partage Wang Heming, responsable d’une classe de terminale dans un lycée de la province du Jiangxi, dans le sud-est de la Chine. Mais avec la division en deux des classes, les enseignants ont vu leur volume de travail doubler, au risque de sacrifier le suivi individuel des participants.
« Il n’y a jamais assez de temps pour se préparer à une épreuve comme celle-ci », regrette Jialang, qui poursuit : « On doit s’adapter rapidement et se plonger dans les révisions, l’atmosphère est très tendue. On sent que le gaokao approche. »
À l’arrivée du printemps, les lycéens de dernier cycle sont habituellement engagés dans une course contre la montre, mais l’épidémie de coronavirus n’a fait qu’ajouter de l’angoisse. « Le report constant de la rentrée m’a vraiment rendue nerveuse, c’est une période critique pour nous », confie la Pékinoise d’une voix fatiguée au bout du combiné.
Le jour J
Il est 23 h. Elle vient de terminer sa journée avec un cours du soir et un premier examen blanc. Conscientes que la guerre contre l’épidémie allait durer, les autorités chinoises ont encouragé les élèves à poursuivre leur cursus à distance. Jialang a suivi tous les cours en ligne proposés par son établissement, tout en révisant de son côté. « Cela demande beaucoup de discipline et c’est très facile d’être distrait à la maison. C’est difficile d’avoir des réponses en temps et en heure à nos questions. Même quand nous avons des explications par nos professeurs, elles sont moins claires à travers un écran », souffle celle qui envisage une carrière dans le droit après ses études.
Même son de cloche côté enseignants. « On s’est tourné vers les présentations PowerPoint tout en essayant de simplifier les contenus pour ménager les lycéens, mais ces techniques d’enseignement sont bien moins efficaces », explique Wang, le professeur de chinois. Loin des enseignants et des camarades, difficile alors de jauger son niveau. « À distance, les échanges au sein d’une classe sont moins fréquents. Sans référence par rapport à leurs pairs, les étudiants peuvent être soumis à la panique et avoir le sentiment d’être perdus », détaille Su, la psychologue. Mais Jialiang n’a pas le temps de tergiverser. Chaque semaine, son emploi du temps est plein, ne lui laissant qu’une après-midi de libre le dimanche. À 70 jours du jour J, chaque seconde compte.