Le personnel soignant doit être mieux protégé
Ces dernières semaines ont montré que le Québec est mal préparé pour faire face à une pandémie telle que celle engendrée par le virus SRAS-CoV-2. Le réseau de santé était déjà sous pression constante face aux multiples réorganisations opérées depuis une vingtaine d’années pour tendre vers une rationalisation des dépenses et une optimisation des services. La santé publique elle-même a été affectée par ces réorganisations. Certains modèles importés de l’industrie, tel le toyotisme, se répercutent négativement sur notre système : il est convenu par beaucoup que nous devons en faire toujours plus avec moins. L’austérité n’a pas seulement contraint notre capacité à donner des soins en temps normal, mais aussi à prévenir une pandémie et à constituer des réserves suffisantes de matériel de protection. L’austérité a également réduit les possibilités de financement de la recherche en prévention des infections.
Une culture préventive devait pourtant être renforcée à la suite des éclosions et des pandémies précédentes telles que le SRAS en 2003 et le H1N1 en 2009. De nombreux scientifiques avaient alerté les gouvernements précédents et publié à ce sujet des recommandations qui ont été peu ou pas prises en compte. Malheureusement, en l’absence d’une approche capacitaire, les interventions actuelles misent sur l’atténuation des conséquences de la pandémie : nous sommes en mode de gestion de cette crise plutôt qu’en mode prévention.
Nous devons sortir de cette culture du blâme et mieux apprécier les risques biologiques auxquels les professionnels de la santé sont exposés dans leur travail quotidien
Culture du blâme
La présence inégale d’une culture de sécurité au sein des établissements de santé met au jour des failles importantes en termes de prévention des infections. La culture du blâme et de l’enquête individuelle accusant des professionnels de la santé quant à leur manque de respect des mesures de prévention des infections est encore trop souvent utilisée. Nous devrions pourtant miser sur la collaboration et sur une prise en charge collective en prévention des infections.
Présentement, un établissement dans lequel une infirmière contracte une infection sur son unité ne reconnaît pas automatiquement cette infection comme maladie acquise sur le lieu de travail. Alors que les infirmières, comme nombre d’autres professionnels de la santé, font quotidiennement face à de nombreux risques biologiques dans le cadre de leurs fonctions, singulièrement ces risques doivent continuellement être démontrés. Ainsi, il revient au professionnel de prouver qu’il a contracté cette infection sur son lieu de travail, et dans le cadre de son travail, et non pas autre part dans la communauté, ce qui peut être extrêmement difficile à démontrer. De nombreux témoignages indiquent par ailleurs que si l’infirmière contracte une maladie, elle sera pointée du doigt pour son manque de respect des mesures de prévention des infections ou de son port inadéquat de l’équipement de protection individuel. Le contexte organisationnel (ex : surcharge de travail, épuisement professionnel, manque d’équipement, etc.) qui complique fortement le respect des normes en matière de prévention des infections disparaît, laissant l’infirmière comme seule responsable de la situation.
En contexte de l’actuelle pandémie, quels seront les effets d’une telle approche sur les droits de professionnels soignants déjà fortement éprouvés physiquement et mentalement ?
Nous devons sortir de cette culture du blâme et mieux apprécier les risques biologiques auxquels les professionnels de la santé sont exposés dans leur travail quotidien. Il est anormal que, traditionnellement, le secteur de la santé et de la sécurité au travail (CNESST, ASSTSAS, etc.) aborde peu ces risques pour les professionnels de la santé, ou de façon plus restreinte autour de la matério-vigilance et de la vaccination. La pandémie met en évidence le fait qu’une meilleure reconnaissance des risques biologiques encourus par les infirmières et les autres personnels soignants est impérative.
Les professionnels de la santé ne devraient pas rentrer chez eux la peur au ventre à l’idée de contaminer leurs familles. Ils ne devraient pas non plus faire face à des menaces, du harcèlement, du vandalisme ou des évictions par des membres de la population qui les perçoivent comme des agents de propagation de l’infection.
Tirer des leçons
Redonnons le pouvoir de la parole aux infirmières et aux professionnels de la santé. Elles sont très silencieuses, non pas par obéissance, mais par peur de représailles, tenues légalement par des ententes de confidentialité. Le devoir de loyauté envers l’État ne devrait pas nous mener [...] jusque dans nos tombes après avoir contracté la COVID-19. Par souci de transparence, l’État devrait aussi publier le nombre de professionnels infectés, hospitalisés ou décédés.
L’État avait un devoir de préparation suffisant et aurait pu bâtir des capacités ces vingt dernières années. Nous faisons maintenant face à une réaction en chaîne bien décrite par James Reason, qui permet actuellement qu’une infirmière soit exposée à des risques biologiques importants faute de barrières de sécurité suffisantes. Si l’on veut tirer des leçons durables de la pandémie, il faudra dès à présent assurer de l’équipement de protection en quantité suffisante pour protéger les personnes les plus à risque de contracter et de transmettre une infection. Il faudra changer la culture de blâme qui sévit dans le réseau de la santé, qui fait porter aux professionnels de la santé une responsabilité disproportionnée des ratés de la gestion ultra-rationalisée des 20 dernières années. Il faudra également reconnaître la valeur des témoignages du personnel soignant, qui peut apprécier mieux que quiconque la réelle efficacité des politiques de prévention mises en place.
* Tous infirmières ou infirmier, respectivement professeure agrégée, Faculté des sciences infirmières, Université de Montréal ; professeure agrégée, École des sciences infirmières, Université d’Ottawa ; professeur titulaire, École des sciences infirmières, Université d’Ottawa ; analyste consultée, Belgique.