Le laboratoire
Personne n’a jamais tenu Doug Ford pour un grand sage. On ne peut pas non plus le soupçonner de chercher à retarder indûment la reprise des activités économiques en Ontario, où les pressions pour qu’il donne le feu vert sont sûrement aussi fortes qu’au Québec. Il n’a pourtant voulu fixer aucune date, même pour les régions éloignées, pas plus que son homologue de la Colombie-Britannique, John Horgan, bien que la pandémie y ait fait encore moins de ravages.
« Je respecte le premier ministre Legault. C’est un bon leader, c’est un bon premier ministre et c’est un bon ami. Je ne veux pas faire de commentaire en parlant d’eux contre nous. Nous avons des scénarios différents et il verra si ça fonctionne dans sa province. Je lui souhaite le mieux et j’espère que ça fonctionnera », a déclaré M. Ford mercredi.
« Je ne vais pas risquer la santé et le bien-être des gens en Ontario pour quelques semaines ou mois […] Ce serait un désastre si nous allions de l’avant, rouvrions l’économie et que quelque chose ne fonctionne pas », a-t-il ajouté. Tout en leur souhaitant bonne chance, il a invité les Québécois à ne pas traverser la frontière ontarienne.
On ne peut que se demander pourquoi M. Legault n’affiche pas la même prudence et se montre aussi pressé de lever le confinement. Certes, tout le monde a hâte de retrouver une vie normale, mais pourquoi devonsnous absolument prendre ce que le Dr Horacio Arruda a lui-même qualifié de « pari risqué » ? Ici aussi, une relance de la pandémie serait un désastre.
La situation inquiétante à Montréal-Nord semble maintenant faire hésiter le premier ministre. L’avertissement qu’un collectif de citoyens, d’intervenants et d’une élue de l’arrondissement a lancé jeudi dans Le Devoir a de quoi faire réfléchir. « Avec un taux d’infection qui augmente à un rythme aussi rapide et alors que la population demeure hautement vulnérable, est-il raisonnable de déjà préparer le déconfinement » ? demandent les signataires. Poser la question, c’est y répondre.
Depuis plusieurs jours, M. Legault s’est employé à convaincre la population de la coexistence de « deux mondes » pratiquement étrangers l’un à l’autre. D’une part ; les CHSLD et les résidences pour personnes âgées, où les cas se multiplient ; de l’autre, le reste du Québec, où la pandémie est « sous contrôle ». Il faut maintenant en ajouter un troisième, Montréal-Nord, où l’incendie fait rage.
Dans la région métropolitaine, les choses peuvent être considérées comme étant « sous contrôle » seulement en raison des mesures de confinement qui ont généralement été respectées. La réouverture des écoles et d’une grande partie des entreprises viendra complètement changer la donne. Si c’est trop risqué à Toronto, pourquoi ne le serait-ce pas à Montréal, où le nombre de cas est déjà beaucoup plus élevé ? Comme l’a dit M. Ford, on verra si ça fonctionne. Lui-même en tirera sûrement d’utiles conclusions, mais il est plutôt désagréable d’avoir l’impression d’être un laboratoire pour le reste du pays. C’est bien beau d’être une « société distincte », mais le virus ne fait sans doute pas la différence.
Même si les mesures préconisées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) seront théoriquement respectées, on peut facilement imaginer l’inquiétude des enseignants et de nombreux parents à l’idée d’un retour en classe dans un quartier comme Montréal-Nord. Rien ne s’est passé comme prévu depuis le début de la pandémie et les mauvaises surprises ont été plus nombreuses que les bonnes.
Au train où vont les choses, le Québec sera la seule province à rouvrir les écoles avant l’automne. Bien sûr, les enfants y seraient mieux qu’enfermés à la maison, en particulier ceux qui éprouvent des difficultés d’apprentissage, mais il n’y a aucune assurance que ces derniers pourront bénéficier des services qu’ils requièrent, comme en témoigne la lettre circulaire que l’école Leventoux, située à Baie-Comeau, a adressée aux parents en prévision d’une réouverture. « Pour les élèves ayant des besoins particuliers, les moyens mis en place tels que l’utilisation d’un local individuel, faire une marche, etc., ne pourront pas nécessairement être respectés », peut-on y lire. Si c’est le cas à Baie-Comeau, où la contagion est limitée, qu’est-ce que ce sera à Montréal ?
La porte-parole libérale en matière d’éducation, Marwah Rizqy, a demandé au ministre Jean-François Roberge de repousser la date de réouverture à Montréal, qui est actuellement fixée au 19 mai. « Je ne pense pas que ce soit quelque chose qui est possible », a-t-il répondu. Pourquoi pas ? Il serait certainement préférable de retarder que de devoir fermer à nouveau après une ou deux semaines parce ça va mal. Depuis son entrée en fonction, M. Roberge a démontré qu’il pouvait être têtu. Heureusement, ce n’est pas lui le chef du laboratoire.
Dans la région métropolitaine, les choses peuvent être considérées comme étant « sous contrôle » seulement en raison des mesures de confinement qui ont généralement été respectées. La réouverture des écoles et d’une grande partie des entreprises viendra complètement changer la donne. Si c’est trop risqué à Toronto, pourquoi ne le serait-ce pas à Montréal, où le nombre de cas est déjà beaucoup plus élevé ?