Le Devoir

Il faut préparer la reprise

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En mars dernier seulement, plus d’un million de personnes ont perdu leur emploi au Canada. Ce chiffre déjà impression­nant ne reflète même pas toute l’ampleur du séisme puisqu’il exclut les gens qui ont vu le nombre de leurs heures de travail réduit et ceux qui n’ont pas cherché un nouvel emploi. En fait, Statistiqu­e Canada évalue non pas à un, mais à trois millions le nombre de personnes qui ont perdu leur emploi ou subi une réduction des heures travaillée­s. Inutile d’être devin pour prévoir que les données d’avril seront encore pires.

Selon les dernières prévisions du Directeur parlementa­ire du budget, à Ottawa, l’économie reculerait de 12 % pour l’ensemble de 2020. En guise de comparaiso­n, rappelons que le PIB s’était replié de 3,8 % lors de la récession de 1982, la pire performanc­e des dernières décennies.

Devant un tel portrait, on comprend qu’il était nécessaire que les gouverneme­nts, Ottawa surtout qui possède le coffre d’outils le plus complet, intervienn­ent aussi massivemen­t et rapidement pour soutenir les familles et les entreprise­s subitement privées de revenus.

En date du 24 avril, Ottawa avait déjà annoncé des mesures fiscales d’urgence totalisant 146 milliards de dollars. Or, compte tenu de la baisse de ses propres recettes fiscales, ces mesures feront grimper le déficit fédéral à au moins 252 milliards de dollars cette année au lieu des 25 milliards de dollars prévus l’automne dernier. Une somme à laquelle il faudra ajouter une autre tranche d’au moins 100 milliards de dollars d’ici la fin de l’exercice fiscal, en mars 2021, puisqu’un grand nombre des aides d’urgence devront être prolongées au-delà des quatre mois prévus et que, de toute façon, cela ne suffira pas pour relancer la machine économique.

On peut difficilem­ent reprocher à Ottawa d’avoir agi de façon improvisée. Il n’avait pas le choix pour que l’argent parvienne rapidement aux destinatai­res. Maintenant, quoi qu’en dise le premier ministre Trudeau, le temps est venu de planifier la suite.

Or, si l’urgence ne permettait pas de poser des conditions tatillonne­s, les prochaines mesures et celles qui seront prolongées devront éviter de nuire à l’embauche, par exemple, et plutôt servir d’incitation à reprendre son ancien emploi ou en chercher un nouveau. Maintenir temporaire­ment une partie de la prestation d’urgence en fonction des heures travaillée­s est un moyen qui a fait ses preuves. De même pour la subvention au loyer des PME qui diminuerai­t progressiv­ement au lieu de disparaîtr­e soudaineme­nt après trois mois.

Il va sans dire que devant la pluie de milliards (empruntés) qui s’abat sur le pays, des centaines de groupes d’intérêt veulent à leur tour obtenir un morceau de la tarte. Ces demandes sont souvent légitimes, mais dans certains cas elles appellent à l’imposition de conditions plus fermes quand elles ne sont pas simplement farfelues.

À titre d’exemples empruntés à d’autres pays, il ne serait pas justifié que les fonds publics servent à soutenir les dividendes versés aux actionnair­es de sociétés publiques. Encore moins au rachat d’actions en circulatio­n pour accroître leur valeur et la rémunérati­on des dirigeants.

Le transport aérien aura besoin d’aide, c’est certain. De toutes les sociétés, Ottawa doit exiger qu’elles remboursen­t en totalité le prix des billets et des forfaits achetés avant la crise au lieu d’offrir un crédit comme c’est le cas à l’heure actuelle. Et pour ce qui est d’Air Canada, l’ancienne société d’État doit s’engager à reprendre le service sur l’ensemble du territoire une fois la crise passée.

Quant au secteur pétrolier, Ottawa ne doit pas répéter le geste posé à l’endroit de Trans Mountain en nationalis­ant des firmes vouées à la faillite par l’état du marché mondial. Ce n’est pas le temps non plus de réduire les normes environnem­entales comme l’industrie le demande avec insistance.

Et que dire des appels à l’aide lancés par des multinatio­nales comme Airbnb, dont les recettes sont exportées dans des paradis fiscaux ?

Cela étant dit, au-delà du soutien temporaire, il faut d’ores et déjà préparer le plan de relance à moyen et à long terme. Les provinces, dont le Québec, ont plus que jamais besoin de moderniser leurs réseaux de soins de santé, d’hébergemen­t pour personnes âgées et de logements sociaux. Elles ont aussi besoin d’accélérer la transition énergétiqu­e et la constructi­on d’infrastruc­tures de transport collectif.

Il faut accroître la souveraine­té alimentair­e, consolider les centres de recherche et inciter les entreprise­s, petites et grandes, publiques et privées à investir davantage dans l’innovation. Des centaines de milliards seront nécessaire­s d’ici dix ans. De l’argent qu’il faudra injecter malgré la fragilité des finances publiques.

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