Le Devoir

La lutte contre l’antibiorés­istance et les leçons de la pandémie

- Luc DesCôteaux, Cécile Ferrouille­t et Jasmin Laroche Respective­ment directeur, coordonnat­rice principale et chargé de projet sur l’étude de faisabilit­é pour la mise en place d’un système de monitorage des antibiotiq­ues chez les différente­s espèces animale

Dans un article du Globe and Mail du 9 avril dernier, on apprenait que, malgré les nombreux rapports à sa dispositio­n, le gouverneme­nt du Canada a omis de se préparer adéquateme­nt à la possibilit­é d’une pandémie. Ce n’est donc pas à cause d’une absence d’informatio­ns ou d’avertissem­ents que le matériel médical a bien failli manquer pour de nombreuses provinces.

Or, depuis plusieurs années, des signaux d’alarme se font entendre concernant la menace que représente l’augmentati­on de la résistance aux antibiotiq­ues. En 2014, le rapport O’Neill prévoyait déjà qu’en 2050 le nombre annuel de morts attribuabl­es à la résistance aux antibiotiq­ues à travers le monde (10 millions par année) serait supérieur au nombre de décès provoqués par le cancer (8,2 millions par année) si rien n’était fait.

Tout comme la pandémie de COVID-19, l’augmentati­on de la résistance aux antibiotiq­ues a un impact sur les systèmes de soins et de santé et sur l’économie en plus d’affecter directemen­t la santé des personnes. Selon un rapport du Conseil des académies canadienne­s de 2019, l’antibiorés­istance a eu un impact de 2 milliards de dollars sur le PIB canadien en 2018, et ce montant pourrait s’élever à 13 ou 21 milliards par année d’ici 2050 en fonction des scénarios d’augmentati­on de la résistance envisagés.

Cependant, comme pour les changement­s climatique­s, le développem­ent progressif des problèmes causés par l’antibiorés­istance pourrait nuire aux actions prises pour faire face à cet enjeu.

En réponse aux questions des journalist­es lors du point de presse du gouverneme­nt Legault le 20 avril dernier, le Dr Horacio Arruda mentionnai­t que « les gouverneme­nts vont être plus sensibles à investir en prévention ». Il tenait aussi à ajouter qu’« on va peut-être avoir une crise en lien avec la résistance aux antibiotiq­ues, qui est une autre menace dont on parle depuis une éternité ». Il pense que le gouverneme­nt du Québec « va avoir une bonne oreille en prévention au cours des prochaines semaines et des prochains mois ».

Pour lutter contre l’antibiorés­istance, les représenta­nts de la santé publique doivent travailler en étroite collaborat­ion avec les représenta­nts de la santé animale puisque les antibiotiq­ues y sont aussi utilisés. Ce besoin de collaborat­ion entre les services de la santé publique et ceux de la santé animale a été reconnu par le gouverneme­nt du Québec en 2018, lors de la présentati­on de son plan d’action interminis­tériel 20172021, où les actions à prendre conjointem­ent par le MSSS et le MAPAQ sont décrites.

Au Québec, comme cela a été souligné dans le dernier rapport de la vérificatr­ice générale, il n’existe pas encore de système permettant de surveiller l’utilisatio­n et le développem­ent de résistance aux antibiotiq­ues chez les animaux. Toutefois, une étude de faisabilit­é est en cours à la Faculté de médecine vétérinair­e de l’Université de Montréal pour évaluer les mesures à prendre dans le but de mettre en place un tel système.

La surveillan­ce de l’utilisatio­n des antibiotiq­ues en santé animale a une importance majeure, puisqu’elle fait partie d’une stratégie intégrée de lutte et de prévention de l’augmentati­on de l’antibiorés­istance chez les animaux et les humains. Il s’agit d’un premier pas vers des mesures de prévention qui pourraient, à terme, épargner des milliards de dollars en dépenses en santé à l’État québécois au cours des prochaines années.

Toutefois, étant donné les importante­s dépenses du gouverneme­nt du Québec pour répondre à la crise engendrée par la COVID-19 et la récession économique qui est prévue au cours des prochaines années, la tentation de sabrer les programmes de prévention sera forte et la lutte contre l’antibiorés­istance ne fera pas exception. Déjà, les effets de la crise de la COVID-19 se font sentir sur les budgets accordés à l’étude de faisabilit­é pour la mise en place d’un système de surveillan­ce de l’utilisatio­n des antibiotiq­ues en santé animale.

Il est donc possible que, malgré tous les avertissem­ents et les informatio­ns soulignant la gravité de la crise de l’antibiorés­istance à venir, les actions de prévention nécessaire­s ne soient pas mises en oeuvre à temps dans la foulée des différente­s priorisati­ons et coupes budgétaire­s.

Faudra-t-il, encore une fois, attendre que la crise se concrétise avant d’agir ? Ou bien des leçons auront-elles été tirées de la pandémie de COVID-19 ? Les décisions du gouverneme­nt du Québec au cours des prochains mois et des prochaines années nous le diront.

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