Le Devoir

Le déséquilib­re qui guette le commerce mondial

- Xavier Van Overmeire Avocat en droit du commerce internatio­nal chez Dentons Canada et fellow au Centre d’études et de recherches internatio­nales de l’Université de Montréal

Alors que la pandémie bat son plein, les chefs d’État préparent la sortie de crise. Conscients qu’une crise économique sans précédent est en marche, chaque pays interviend­ra selon ses règles pour sauver les industries jugées prioritair­es pour son économie.

On comprend bien que l’interventi­on des pouvoirs publics dans les secteurs clés de leur économie pourrait avoir des répercussi­ons significat­ives sur les concurrent­s étrangers qui ne bénéficien­t pas du même appui public. D’ailleurs, tous les coups semblent déjà permis. Qu’on songe seulement à la stratégie agressive déployée par les États-Unis de détourner les livraisons internatio­nales de masques à coups de milliers de dollars.

Pour reprendre les termes de l’ancien directeur général de l’Organisati­on mondiale du commerce (OMC), Pascal Lamy, après la crise de 2008, la situation actuelle soulève deux risques. Le premier : que les États continuent de céder au chant des sirènes du protection­nisme à mesure que la crise économique fera ses dommages, entraînant des effets délétères sur le commerce internatio­nal. Le deuxième : que les mesures temporaire­s de sortie de crise se prolongent dans le temps et servent à protéger des entreprise­s déjà non compétitiv­es ou insolvable­s, ce qui aurait pour conséquenc­e d’empêcher des compétiteu­rs en meilleure santé, locaux ou étrangers, de gagner des parts de marché.

En 2008, déjà, de nombreux pays avaient mis en oeuvre des plans de sauvegarde pour affronter la crise économique. La plupart avaient toutefois pris en considérat­ion l’effet de telles mesures sur le commerce internatio­nal. Certains d’entre eux avaient même abandonné l’introducti­on de restrictio­ns commercial­es après qu’un examen public ou politique eut mis en lumière les inconvénie­nts qu’elles pouvaient présenter pour l’économie nationale et mondiale. Ce fut le cas de la clause Buy American, que les États-Unis avaient insérée dans leur plan de relance en 2009 afin de favoriser l’achat de fer, d’acier et d’autres produits manufactur­iers américains. Devant la contestati­on, Barack Obama avait fini par annuler les éléments de la clause qui étaient contraires au commerce internatio­nal et, plus exactement, au principe de non-discrimina­tion.

Le principe de non-discrimina­tion agit ainsi comme un garde-fou contre des plans de relance qui ne seraient en réalité que des armes déguisées pour porter atteinte aux intérêts commerciau­x d’un autre pays ou d’un secteur en particulie­r. Ou, encore, une excuse pour favoriser les opérateurs nationaux au détriment des étrangers, faisant alors fi des principes de la nation la plus favorisée et du traitement national.

Il faut aussi préserver la transparen­ce — qui est à la fois horizontal­e et verticale, c’est-à-dire entre les États membres de l’OMC et entre ces États et l’organisati­on même —, laquelle assure la prévisibil­ité, l’équité et la cohérence des mesures commercial­es prises par les pays membres en période de crise. Elle permet également à l’OMC d’élaborer des rapports sur les mesures de restrictio­n prises et, ainsi, d’exercer son devoir de surveillan­ce, telle qu’elle l’avait fait dans le contexte d’une autre urgence sanitaire, celle du virus H1N1.

Il faudrait que les États aient aujourd’hui la même conscience qu’il y a douze ans et se demandent si leur programme de relance économique, qui pourrait agir comme des restrictio­ns aux échanges, répondra a minima aux règles posées par l’OMC — dont celles prévues dans ses différents accords — et aux règles spéciales prévues dans leurs accords bilatéraux ou multilatér­aux. Dans le cas canadien, il s’agirait entre autres de l’Accord Canada–ÉtatsUnis–Mexique (ACEUM) et de ses mesures de défense commercial­e, de traitement national ou encore des mesures relatives aux investisse­ments.

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