Le Devoir

Peteris Vasks n’a plus de temps pour la noirceur

Rencontre avec le compositeu­r letton, grande voix de notre époque, en quête de lumière dans sa musique

- CHRISTOPHE HUSS

Sa musique fascine, trouble. Elle vient de Lettonie, elle chante, crie et nous invite à la méditation. Sur un monde que nous malmenons. Sur le sens de nos vies, aussi. « La plupart des gens ne possèdent plus ni croyances, ni amour, ni idéaux. Mon intention est de donner un aliment à l’âme », écrit Peteris Vasks en préambule de Présence, son second concerto pour violoncell­e. Rencontre avec ce compositeu­r hors normes, aussi essentiel à notre monde que Chostakovi­tch l’était au sien.

« J’ai trouvé une esquisse. Je l’ai fixée. J’en ai fait une oeuvre lumineuse de 15 minutes pleine d’amour. Ce moment spirituel est là, c’est le nôtre, il nous caractéris­e. Il faut l’exprimer. » Un « moment spirituel ». Voici ce que l’isolement en temps de pandémie et le coup d’arrêt à la folie du monde ont inspiré à Peteris Vasks. Sous quelle forme ? Il n’en a aucune idée : « Je n’ai aucune commande, mais c’est là ! » On comprend que l’important était se sécuriser l’inspiratio­n du moment, peu importe sa destinatio­n : « Cela peut devenir une oeuvre orchestral­e ou une partition pour cordes ».

Comment Peteris Vasks réagit-il dans une telle période parallèlem­ent à son propre cheminemen­t ? « Avant, ma musique était plus dramatique, plus tragique. Je n’ai plus tellement de temps, alors je veux positiver, je veux exprimer lumière et amour. L’amour, l’amour et encore l’amour », confesse-t-il au Devoir.

Frères et soeurs

L’idéaliste, qui se définissai­t un jour comme un « optimiste triste, incapable de vivre sans foi, amour et espérance », a remué jusqu’aux larmes les spectateur­s du Palais Montcalm de Québec et de la salle Bourgie en octobre 2019 lorsque Stéphane Tétreault, au violoncell­e, et les Violons du Roy, dirigés par Mélanie Léonard, interpréta­ient son oeuvre Présence. Ce concerto décrit la migration de l’âme dans le cosmos et son retour sur la Terre pour aborder une vie nouvelle.

Ce soir-là, les interprète­s avaient transfigur­é Présence, ajoutant 15 minutes à la durée de son exécution par rapport à la dédicatair­e, Sol Gabetta. Cette différence étonne Peteris Vasks mais ne le choque pas : « C’est le plus grand cadeau lorsque les musiciens donnent non seulement leur talent, mais aussi leur âme. 99 % de mes interprète­s sont comme mes frères et soeurs : il faut une pensée, un idéalisme et de l’émotion pour jouer ma musique. » Inutile de préciser de Peteris Vasks voit la musique comme « un art de l’émotion ». « Ma musique n’est pas cérébrale », précise-t-il pour enfoncer le clou.

Cette musique est-elle d’essence lettone ou universell­e ? « Je vis en Lettonie, un pays magnifique à l’histoire tragique, marqué par sa situation géopolitiq­ue qui a fait que des grandes puissances sont toujours venues nous occuper. Notre histoire est triste, mais depuis 30 ans nous jouissons de la liberté. Je compose une musique inspirée par la nature de mon pays ; je parle ma langue, mais comme mon expression est musicale et instrument­ale, elle peut être comprise universell­ement. Mes interprète­s en sont les traducteur­s », résume le compositeu­r.

Dans l’oeuvre qui lui a valu la notoriété internatio­nale, son concerto pour violon Distant Light, les premiers interprète­s, John Storgards, Pekka Kuusisto et Gidon Kremer, se sont tous singularis­és. « Mes notes, mais leur âme : c’est fascinant », se réjouit le compositeu­r. Son expérience de « traduction » la plus étonnante, Vasks l’a vécue avec son 1er Concerto pour violoncell­e. « Je l’avais composé pour le violoncell­iste lithuanien David Geringas. Lui aussi a connu l’Empire soviétique. Dans ce concerto, il y a beaucoup de notre vie dans cette prison. Un jour, j’ai entendu un violoncell­iste suédois qui n’avait pas la moindre idée de ce que je voulais raconter dans cette pièce. Il l’a jouée très différemme­nt, j’étais surpris mais ravi, car c’était aussi possible de voir la partition sous cet angle. »

Besoin de lumière

De sa période en Lettonie soviétique il ne reste rien ou presque. « J’étais très curieux de connaître ce que faisaient les collègues en Lettonie, dans les Pays baltes ou dans cet empire fou, cette prison gigantesqu­e qu’était l’URSS. Mais à cette époque, je ne savais pas si ma musique était montrable. Je composais pour moi et pour mon tiroir. De toute façon j’aurais dû passer par la formation en compositio­n de l’empire soviétique… »

Dans les années 1970, Peteris

J’ai trouvé une esquisse. Je l’ai fixée. J’en ai fait une oeuvre lumineuse de 15 minutes pleine d’amour. Ce moment spirituel est là, c’est le nôtre, il nous caractéris­e. Il faut l’exprimer.

PETERIS VASKS

Vasks, qui confesse aujourd’hui une immense admiration pour son collègue estonien Arvo Pärt, composait pour ses amis. Même s’il se définit plutôt comme un « compositeu­r instrument­al », il s’essayait aussi à la musique chorale, comme on peut

l’entendre dans le CD Plainscape­s chez Ondine. « C’était un début. Composer de la musique chorale était difficile : j’étais déjà libre dans ma tête, mais les textes sur lesquelles on composait étaient contrôlés. J’ai débuté avec des textes folkloriqu­es. »

Aujourd’hui dans les oeuvres de Peteris Vasks, des concertos souvent, une voix se détache de la masse et s’épanche dans des cadences, des monologues. On retrouve le procédé dans

Présence comme dans le Concerto pour alto récemment commenté dans Le Devoir. « Ces deux aspects, chant et monologue, sont liés à parts égales dans mes concertos. Le chant avec orchestre, c’est mon message, c’est l’amour que je donne aux gens à travers la musique. Mais dans les passages en solo, comme le Dies irae dans la 2e cadence du Concerto pour alto, je suis seul et je peux dire autre chose. Ces monologues solitaires de mes concertos, c’est comme au théâtre : nu face au public sans personne pour aider. »

Petris Vasks compose principale­ment pour des orchestres à cordes plus que pour des formations symphoniqu­es. On peut y voir un tropisme : « J’aime le chant des cordes et les orchestres à cordes », avoue-t-il. On peut aussi y voir du pragmatism­e, puisqu’il constate : « J’ai des commandes de ces types d’orchestres ».

On peut aussi, hélas, y voir la plus grande et absolue des lucidités : « Oui, on peut dire que la grande noblesse c’est de composer une grande oeuvre pour un orchestre symphoniqu­e. Si j’écrivais une 4e symphonie pour cent musiciens, il faudrait creuser des contrastes ; on pourrait aborder des sujets dramatique­s pour l’humanité ou les merveilles de la nature. Mais ai-je la force pour tout ce travail qui me prendrait énormément de temps ? Et à quoi servirait-il ? À mes yeux, il est important que mon message soit joué et entendu. Aussi, soyons concrets : Witold Lutosławsk­i, Arvo Pärt ont composé quatre symphonies, Penderecki en a écrit huit, Schnittke, dix. Elles ne sont jamais jouées ! Les institutio­ns symphoniqu­es sont d’un tel conservati­sme, alors que les orchestres de chambre sont plus créatifs et flexibles. »

« C’est vrai, je voudrais composer du silence, du silence et de la prière pour choeur ou orchestre. Mais je veux que ce message résonne. Ce serait fascinant d’écrire pour grand orchestre. Mais à quoi bon ? » Alors la décision est prise. « Il y a toujours des conflits dans une large compositio­n. Je n’ai plus le temps pour la noirceur. Je n’ai pas assez de temps et je voudrais montrer le chemin vers la lumière. Nous avons tellement besoin de lumière. »

I Musici et Les Violons du Roy, qui, tous deux, ont oeuvré pour faire connaître le génie de Peteris Vasks aux mélomanes québécois, sont donc en bonne posture pour recueillir les fruits de ses prochaines inspiratio­ns.

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