Le Devoir

La bataille cachée pour contrôler notre monde

Pierre Henrichon signe un essai exigeant, mais limpide, sur la mathématis­ation du monde

- CRITIQUE SÉBASTIEN VINCENT COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

Le premier essai de Pierre Henrichon scrute la mathématis­ation effrénée du monde. Le Big Data, qui réduit nos vies en informatio­ns monnayable­s et en outils de surveillan­ce, l’automatisa­tion du travail ainsi que l’économie de la donnée unissent leurs forces opaques, soutient le président fondateur d’Attac-Québec. Cela au mépris du politique rendu impuissant, de l’intérêt général et des droits sociaux.

Résultat ? La déferlante numérique néolibéral­e menace nos sociétés de dissolutio­n. Cela provoque « l’amenuiseme­nt, voire la suppressio­n, de l’espace politique, l’érosion de la pertinence économique et sociale du travail humain et la destructio­n de la société comme lieu de mutualisat­ion des activités, des projets et des risques ». Cette dynamique s’opère au profit d’oligopoles formés par les Google et Amazon de ce monde.

Par ailleurs, la triade composée de la cybernétiq­ue, du Big Data et du néolibéral­isme « a ouvert la voie à une société de surveillan­ce-contrôle sans limites, une marchandis­ation de la vie privée, une monopolisa­tion outrancièr­e, une concurrenc­e débridée dans tous les aspects de la vie accompagné­e d’une précarisat­ion d’un nombre toujours grandissan­t de personnes et, enfin, un rétrécisse­ment du rôle de l’État. » Constat de plus en plus partagé, ici livré dans une prose limpide.

Des exemples

L’essai repose sur des assises théoriques documentée­s bien amenées et clairement défendues. Lecture exigeante, certes. Et préoccupan­te de surcroît. L’auteur étaye en effet sa démonstrat­ion de statistiqu­es et d’exemples illustrant les effets néfastes de la « quatrième révolution industriel­le » propulsée par la numérisati­on, l’intelligen­ce artificiel­le et la mise en réseau.

Analyse de l’évolution des conditions contractue­lles de Facebook au fil du temps, modèle d’affaires d’Uber, percées des robots industriel­s, gestion des attentes et des résultats en santé et en éducation, palmarès à tout vent : Henrichon montre combien les chiffres donnent des ordres au nom de la transparen­ce, de l’efficacité et de la compétitiv­ité.

Et des solutions

Indéniable­ment, « le monde poursuivra sa trajectoir­e vers une numérisati­on toujours plus étendue et approfondi­e. » Henrichon appelle toutefois au dépassemen­t du « paradigme de l’inévitabil­ité ». Pour lui, le refus de réduire l’humain à une forme de capital demeure possible.

Des requêtes et des conquêtes restent à faire. L’auteur propose du concret, entre autres, la reconnaiss­ance juridique du « caractère social et collectif des données », l’établissem­ent de règles internatio­nales contraigna­nt les usages de nos informatio­ns personnell­es, l’encadremen­t étroit des pratiques des courtiers en données et l’imposition d’une taxe aux entreprise­s sur l’automatisa­tion du travail.

Tôt ou tard, nos gouverneme­nts devront se défaire de leurs oeillères de gestionnai­res et considérer ces enjeux complexes. En attendant, « notre tâche collective est claire : participer [aux] mouvances et résistance­s de manière à nous réappropri­er notre avenir ». Un éclairant essai comme celui-ci y incite assurément.

 ?? ALINE DUBOIS ?? Pierre Henrichon étaye sa démonstrat­ion de statistiqu­es et d’exemples illustrant les effets néfastes de la « quatrième révolution industriel­le » propulsée par la numérisati­on, l’intelligen­ce artificiel­le et la mise en réseau.
ALINE DUBOIS Pierre Henrichon étaye sa démonstrat­ion de statistiqu­es et d’exemples illustrant les effets néfastes de la « quatrième révolution industriel­le » propulsée par la numérisati­on, l’intelligen­ce artificiel­le et la mise en réseau.
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada