Le Devoir

Retour inégal en classe

Les élèves des milieux défavorisé­s sont moins nombreux à retourner à l’école

- MARIE-MICHÈLE SIOUI CORRESPOND­ANTE PARLEMENTA­IRE À QUÉBEC

Les enfants du Québec ne sont pas égaux en ce qui concerne le retour en classe : les élèves des milieux défavorisé­s sont beaucoup moins nombreux à être retournés sur les bancs des écoles depuis la réouvertur­e de cellesci, révèlent des chiffres compilés par

Le Devoir.

Confronté à l’absence de données au ministère de l’Éducation et à la Fédération des commission­s scolaires du Québec, Le Devoir a contacté les 72 commission­s scolaires du Québec pour savoir combien d’élèves étaient retournés en classe, dans les écoles primaires publiques, dans la semaine du 11 mai.

La fréquentat­ion de chacune de ces écoles, croisée avec l’indice de milieu socio-économique (IMSE), a permis de dégager une tendance claire. Il y a significat­ivement plus d’élèves dans les écoles favorisées que dans celles qui le sont moins.

En moyenne, 64 % des enfants qui fréquenten­t les écoles les plus favorisées (ayant des IMSE de 1, 2 ou 3) sont retournés en classe. Dans les écoles où l’IMSE est le plus faible (8,9 ou 10, selon la classifica­tion du ministère), seulement la moitié des élèves (50 %) ont repris les cours.

« L’indice de défavorisa­tion est un facteur qui est significat­if dans la fréquentat­ion lors de la réouvertur­e des écoles », a attesté Patrick Charland, professeur au Départemen­t de didactique de l’UQAM.

Avec ses collègues Olivier Arvisais et Yannick Skelling-Desmeules, il a soumis les données du Devoir à un modèle statistiqu­e afin de déterminer quels facteurs pouvaient influencer le retour à l’école. Au terme de l’exercice, les chercheurs ont pu confirmer, sans en être surpris, que l’indice de défavorisa­tion était un facteur important dans cette décision — davantage que les facteurs de la langue ou de la taille de l’école, qui ont aussi été testés.

Le ministre de l’Éducation, JeanFranço­is Roberge, s’est montré plus étonné des résultats de l’exercice. « C’est quelque chose qui est un peu

décevant », a-t-il dit. « On souhaite que les élèves qui ont besoin de davantage d’encadremen­t puissent profiter de la fréquentat­ion scolaire. Quand les écoles sont ouvertes, elles sont ouvertes pour tout le monde. »

Pas de données au ministère

Le Devoir a soumis une question au sujet des enfants de milieux défavorisé­s au ministre Roberge la semaine dernière. « Je n’ai pas l’informatio­n à savoir si les élèves qui sont dans nos classes en ce moment viennent plus d’un milieu favorisé ou défavorisé », a-t-il répondu lors d’une mêlée de presse organisée à l’Assemblée nationale.

Le ministère de l’Éducation a fourni une réponse semblable. « La compilatio­n des données [sur le retour à l’école] n’est pas encore terminée, plusieurs écoles n’ayant pas encore transmis les informatio­ns au ministère », a écrit le porte-parole Bryan St-Louis vendredi dernier.

Quant à la Fédération des commission­s scolaires, elle a pu dire que 55 % des élèves s’étaient présentés en classe dans la semaine du 11 mai, sans fournir davantage de détails.

Plusieurs commission­s scolaires ont en revanche accepté de fournir les chiffres détaillant le nombre d’élèves qui étaient retournés dans chacune de leurs écoles. Au total, 18 d’entre elles (25 % des commission­s scolaires) ont partagé des données assez détaillées pour qu’elles puissent être compilées par Le Devoir.

Les chiffres transmis par une commission scolaire du Grand Montréal ont été exclus, puisqu’ils étaient prospectif­s. En tout, les taux de fréquentat­ion de 292 des 1768 écoles primaires publiques du Québec (17 %) ont donc été utilisés.

Certaines commission­s scolaires ont envoyé des prévisions de fréquentat­ion qui n’ont pu être comptabili­sées. C’est le cas de la Commission scolaire de Montréal, qui a déclaré que 50 et 30 % des parents avaient exprimé le souhait de renvoyer leurs enfants à l’école dans les semaines du 19 et du 25 mai, respective­ment. « Nous pouvions déjà dégager une tendance plus basse dans les secteurs défavorisé­s », a déclaré le porte-parole Alain Perron.

Selon le professeur Olivier Arvisais, il y a « mille explicatio­ns » qui pourraient permettre de comprendre la tendance observée. Et puis une nuance importante doit être faite, a-t-il ajouté.

« Il y a une bonne proportion, assez importante, des élèves qui viennent des milieux socio-économique­s assez faibles qui ont des vulnérabil­ités, mais ce n’est pas toujours le cas », a-t-il souligné. « Il faut faire attention de ne pas faire l’amalgame. »

Son collègue, le chercheur Yannick Skelling-Desmeules, a quant à lui observé que « les élèves de milieux riches bénéficier­aient plus du facteur de protection qu’est l’école ».

« Ça ne nous dit pas le pourquoi, mais ça nous dit que c’est comme ça », a-t-il ajouté.

Les limites du ministre

Dans son entretien avec Le Devoir, le ministre Roberge a dit souhaiter que « les élèves qui ont le plus besoin de soutien scolaire, qui ont le plus besoin qu’on les aide à réussir, bénéficien­t de l’accompagne­ment » des enseignant­s.

« C’est pour ça que j’avais envoyé une lettre spécifique­ment aux enseignant­s, avant qu’on reprenne [les classes], en disant : je vous invite à communique­r avec vos élèves les plus vulnérable­s », a-t-il déclaré.

Il a ajouté avoir invité les enseignant­s à « appeler directemen­t les familles » pour leur expliquer que l’école est « sécuritair­e » et pour encourager les enfants « qui sont à la limite entre le succès et l’échec » à se présenter en classe.

« Au-delà de ça, je ne pense pas que c’était possible d’aller plus loin dans les circonstan­ces », a-t-il affirmé.

La députée libérale Marwah Rizqy a exprimé une vive dissension quant à la vision du ministre.

« Si on se rend compte qu’on n’est pas capables de joindre tous les parents, assurons-nous de changer notre stratégie. On ne peut pas juste espérer qu’ils vont s’inscrire. Il faut les joindre. C’est ça, l’obligation de l’État », a-t-elle fait valoir.

« Ces données confirment ce que plusieurs enseignant­s ressentent sur le terrain : ce ne sont pas toujours les élèves qui en auraient le plus besoin qui sont de retour en classe », a aussi dit Christine Labrie, de Québec solidaire. « Quand on prétend ouvrir les écoles pour répondre aux besoins des plus vulnérable­s, il faut s’assurer qu’on réussit vraiment à répondre aux besoins des plus vulnérable­s, où qu’ils soient », a-t-elle ajouté.

 ?? PAUL CHIASSON LA PRESSE CANADIENNE ?? À renfort de grands gestes, Brigitte Bouchard, une enseignant­e de l’école primaire Marie-Derome, à Saint-Jean-surRicheli­eu, a fait semblant de donner l’accolade à ses élèves à leur retour en classe, le 11 mai dernier.
PAUL CHIASSON LA PRESSE CANADIENNE À renfort de grands gestes, Brigitte Bouchard, une enseignant­e de l’école primaire Marie-Derome, à Saint-Jean-surRicheli­eu, a fait semblant de donner l’accolade à ses élèves à leur retour en classe, le 11 mai dernier.

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