Le Devoir

Comment relancer l’économie autrement

La crise nous dévoile ce qui mérite ou non d’être sauvegardé

- Yves-Marie Abraham Professeur à HEC Montréal, pour Polémos, Groupe de recherche indépendan­t sur la décroissan­ce au Québec

Alors que plusieurs pays entament leur déconfinem­ent et que l’incertitud­e quant au futur s’installe, nombreux sont les scientifiq­ues, les citoyens et les acteurs de la société civile à travers le monde à se faire entendre et à en appeler au déploiemen­t de nouvelles idéologies politiques.

Depuis les années 1970, de multiples études démontrent que nos modes de vie occidentau­x constituen­t le fond du problème. Qu’il s’agisse de l’origine de l’épidémie (en partie imputable à l’industrial­isation massive qui s’accompagne d’une destructio­n des habitats naturels), de son caractère pandémique (mondialisa­tion des échanges, tourisme de masse), de sa létalité (elle tue surtout les personnes les plus fragiles) et du désastre qu’elle occasionne dans nos « mouroirs industriel­s » (CHSLD), la crise que nous vivons trouve son origine dans la recherche effrénée d’une croissance illimitée dans un monde aux ressources pourtant limitées.

Cette crise révèle les nuisances engendrées par notre système économique globalisé actuel. Au Québec, le virus dévoile en particulie­r l’absence de solidarité envers les aînés. À ce titre, la crise que nous vivons et celles que nous serons amenés à subir à nouveau nécessiten­t de repenser de fond en comble l’organisati­on de notre société.

La crise que nous vivons trouve son origine dans la recherche effrénée d’une croissance illimitée dans un monde aux ressources pourtant limitées

Choisir la décroissan­ce

Dès mars, beaucoup ont été forcés de ralentir. Le moment est approprié pour réévaluer nos échelles, abroger cette « quête » sociale pour la croissance et repartir sur des bases plus saines, plus justes et plus solidaires.

Pour éviter toute confusion, rappelons que la récession qui nous attend n’est en rien de la décroissan­ce. Une société post-croissance implique que l’on prenne collective­ment un engagement en faveur de la réduction de la production et donc de la consommati­on marchande et que l’on réorganise la société de manière différente.

La décroissan­ce, ce n’est pas quelque chose que l’on subit, c’est un projet commun que l’on planifie ensemble de manière conviviale.

Partager plus

La crise aura permis de recréer des liens de solidarité au sein de nos communauté­s tout en mettant en évidence l’isolement et la précarité de plusieurs (aînés, immigrants, femmes, enfants, etc.). La redistribu­tion et la justice sont au coeur d’un projet de société post-croissance. Il s’avère essentiel de reposition­ner la communauté au centre de nos priorités plutôt que de tout miser sur la responsabi­lité de l’individu. Nous devons nous réappropri­er les biens communs anciens — pensons aux coopérativ­es (Coop Couturière­s Pop, Alte Coop, Coopérativ­e Novaide) — tout en en créant de nouveaux communs (Celsius (Solon), Cohabitat Québec). La crise nous a prouvé que nous avons les capacités d’effectuer ce reposition­nement et celui-ci doit s’effectuer hors des formes politiques et économique­s dominantes.

Produire moins et mieux

La crise climatique, l’augmentati­on des inégalités et la pandémie actuelle exacerbent les limites sociales et écologique­s de la croissance illimitée. Vouloir toujours plus n’est plus une option, il faut tendre vers la suffisance et se concentrer sur des besoins essentiels mieux redistribu­és. La croissance ne produira jamais « assez » pour tout le monde, car le mode de vie des nantis n’est pas « universali­sable ».

Le lien entre la croissance du PIB et les émissions de carbone qui dérèglent gravement notre climat n’est plus à faire et la solution ne proviendra pas de la technologi­e. Si l’on souhaite l’autonomie alimentair­e, pourquoi ne pas miser sur la permacultu­re au lieu de se lancer dans des projets de serres hypertechn­ologiques en monocultur­e ?

L’innovation technologi­que est insuffisan­te et comporte son lot de problèmes (exploitati­on des ressources rares et des individus plus précaires).

Démocratis­er la société

Nous proposons d’élaborer ensemble un projet politique de société ou ce qui est produit et consommé est décidé collective­ment en fonction du bien commun. Il est nécessaire de déployer notre capacité collective de décider ensemble de notre avenir, libérés des grandes infrastruc­tures techniques et institutio­nnelles centralisé­es. Les décisions communes peuvent se prendre dans le voisinage, comme chez Solon avec le projet Locomotion, au sein d’un quartier, comme le Collectif C’est à nous (Bâtiment 7), une OBNL autogérée de Pointe-Saint-Charles, ou d’un village (La Cité écologique).

En somme, la crise nous dévoile ce qui mérite ou non d’être sauvegardé de la modernité occidental­e. L’illusion que « tout va bien » entretenue par l’abondance de marchandis­es superflues ne peut désormais plus racheter l’acceptatio­n des injustices sociales et de la détériorat­ion de notre environnem­ent causées par le système économique. Le moment que nous vivons est tout indiqué pour « décolonise­r notre imaginaire » et renouveler notre société. Une société post-croissance n’est en rien utopique ; il existe déjà un grand nombre d’initiative­s au Québec à prendre pour exemples.

Le changement de paradigme possible. est

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