On exagère l’ampleur de la crise, estime Stephen Poloz
Le gouverneur de la Banque du Canada cède sa place à la tête de l’organisme
L’ampleur que l’on prête à la crise économique actuellement est « un peu exagérée », estime Stephen Poloz.
« Je crois que, tout bien pesé, la vague [de pessimisme] que j’entends est un peu trop extrême. C’est un peu exagéré », a dit, jeudi, le gouverneur de la Banque du Canada de l’incidence économique de la pandémie de coronavirus lors d’une table ronde virtuelle avec quelques journalistes.
Le problème, a-t-il expliqué, vient notamment de notre habitude d’utiliser des indicateurs comme le produit intérieur brut (PIB) pour se faire une idée de l’état de l’économie. Lorsqu’on prédit, comme depuis quelques semaines, que la pandémie de coronavirus provoquera une chute de 15 % du PIB canadien seulement au deuxième trimestre, on pense tout de suite à un choc économique terrible dont on voit mal comment on se remettra.
« Mais nous ne sommes pas dans une récession normale, a souligné l’économiste qui, au terme d’un mandat de 7 ans, cédera sa place à la tête de la banque centrale canadienne dans moins de deux semaines à Tiff Macklem. La chute du PIB ne reflète pas un changement profond du comportement ni de la confiance des acteurs économiques. Les gouvernements ont mis l’économie sur pause. » Lorsqu’ils lèveront leurs mesures de confinement, « on peut s’attendre à un retour rapide de l’activité ».
On l’aura compris, Stephen Poloz continue de voir un pays qui suit le scénario optimiste qu’il présentait le mois dernier dans le Rapport sur la politique monétaire. Cela tient, croit-il, entre autres au fait que « l’on a su tirer les leçons de la crise financière de 2008, » et que le secteur financier est entré dans l’actuelle crise sanitaire avec de solides assises. Cela tient aussi aux mesures monétaires adoptées par la Banque du Canada pour assurer les liquidités nécessaires aux marchés financiers, mais surtout aux programmes d’aide financière d’urgence mis en place par les gouvernements pour garder la tête des travailleurs et des entreprises hors de l’eau pendant le confinement.
On savait dès le départ, rappelle Stephen Poloz, que même dix ans après la dernière crise, la remontée des taux d’intérêt des banques centrales n’avait pas été suffisante pour leur permettre, au besoin, de relancer l’économie en les réduisant. Le recours à de nouveaux outils d’intervention monétaire, tel que l’injection de liquidités, n’allait pas suffire non plus. Le gros du travail de stimulation économique allait devoir être effectué par les gouvernements.
Or, les nouveaux programmes comme la Prestation canadienne d’urgence (PCU) se révèlent remarquablement efficaces et beaucoup plus à même de s’ajuster rapidement à l’évolution de la situation économique que d’autres programmes, comme l’assuranceemploi, dit le gouverneur. Les gouvernements auraient d’ailleurs tout intérêt, selon lui, à conserver de tels types de mesures dans leurs coffres à outils pour les récessions à venir.
Il est vrai que tout cela ne manquera pas de venir grossir la dette publique les prochaines années, mais le Canada reste malgré tout en assez bonne situation à ce chapitre.
Il se peut aussi qu’une deuxième vague de pandémie de COVID-19 vienne frapper l’économie canadienne, admet Stephen Poloz, auquel cas il faudra plutôt se préparer à la réalisation de son scénario pessimiste du mois dernier. Il y était question de destruction d’emplois et d’entreprises d’une telle ampleur au Canada que son activité économique ne pourrait pas retrouver son niveau d’avant la pandémie même au-delà de 2022.
Quoi qu’il arrive, des entreprises tomberont malheureusement au combat, précise le gouverneur. Mais on peut espérer aussi que d’autres plus dynamiques et innovantes renaîtront de ces cendres, dans ce que des économistes appellent le processus de « destruction créatrice ».
L’emploi de rêve
Stephen Poloz cédera officiellement la place à son successeur lors de la prochaine annonce du taux directeur, le 3 juin. Ce taux est depuis le mois de mars à son niveau plancher de 0,25 %.
Ayant souvent dit qu’il occupait « l’emploi de ses rêves », il s’est notamment dit fier, jeudi, d’avoir contribué à remettre l’économie canadienne sur ses rails, une première fois après la dernière crise financière, et une deuxième fois après l’effondrement des prix du pétrole en 2015. Il se souvient avec douleur les premiers temps où les marchés et les médias disséquaient mot à mot chacune de ses paroles au point de croire voir des changements de cap là où il n’y en avait pas. « Cela a été difficile, mais on a fini par les convaincre de prêter plutôt attention aux données sur lesquelles se basaient nos points de vue. »