Le Devoir

La saine compétitio­n

Deux génération­s de rappeurs québécois réunies sur un même album léger comme un début d’été

- ENTREVUE PHILIPPE RENAUD COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

Une surprise, la parution de Génies en

herbe, premier album de FouKi et Koriass ? Seulement parce que sa parution, vendredi, fut précipitée, puisque l’idée d’un album en duo était écrite dans le ciel depuis leur première collaborat­ion en studio, il y a presque trois ans : ces deux-là étaient faits pour s’entendre comme les contraires qui s’attirent. Le technicien de la rime et le fabulateur du vocabulair­e. Le taciturne intense et l’enfumé jovial. Le vétéran et la recrue, à nouveau réunis le temps d’une entrevue, l’un de Limoilou, l’autre du Plateau.

Koriass a récemment retrouvé la preuve de sa première rencontre avec FouKi dans une photo publiée sur les réseaux sociaux il y a cinq ou six ans de cela. « La photo ! » s’esclaffe FouKi, posté devant sa caméra dans son home

studio aménagé au sous-sol. Koriass : « C’est la fois où j’avais autographi­é des poitrines de dudes et des cartes de la STM après un spectacle au cégep du Vieux Montréal. Sur la photo, on voit FouKi avec “Koriass” écrit sur sa poitrine ! » « Ç’aurait dû être ça, la pochette de l’album », rétorque FouKi, qui s’en souvient encore : il avait à peine 17 ans et ne fréquentai­t même pas le cégep du Vieux. « J’ai su que Koriass allait donner un spectacle là-bas et je me suis juste dit : “Faut que j’y aille !” »

Ça s’entend, ça se sent, là sur Zoom comme sur disque. Une véritable amitié s’est forgée entre les deux rappeurs, non pas depuis cette séance de dédicaces pectorales, mais au moment où FouKi a signé avec la maison de disques 7e Ciel, en décembre 2017. « Manu [Koriass] m’avait envoyé un message disant : “Yo ! Bienvenue dans la famille et bravo pour ton single !” raconte FouKi. Je lui avais répondu pour le remercier, et j’en avais aussi profité pour lui demander s’il accepterai­t de faire un featuring sur mon album. »

Ça a donné la spectacula­ire chanson titre du disque All Zay, avec Koriass qui rappe cette strophe : « Old school, j’rappais déjà avant qu’FouKi naisse », établissan­t déjà le rapport mentor/ mentoré entre le vétéran et son jeune fan. Et c’est sous cet angle qu’on a vu leurs autres collaborat­ions, en studio (deux chansons sur l’album La nuit

des longs couteaux de Koriass, une autre sur ZayZay de FouKi paru il y a un an) et sur scène.

Rapport d’influence

Pourtant, Koriass est le premier à réfuter l’idée du vétéran prenant un jeune sous son aile, allant même jusqu’à le souligner dès le premier couplet de la coulante et mélodieuse

Bruit, la deuxième chanson de l’album Génies en herbe : « Get it

right, FouKi c’pas mon fils, c’est mon frangin. »

« On est égaux, affirme Koriass. FouKi en a autant à m’apprendre que j’en ai à lui apprendre. Je n’ai jamais senti ce rapport de mentor et d’élève, ou du rappeur qui a plus d’expérience que l’autre. » FouKi nuance le propos avec une métaphore de hockey : « Au début, ce rapport de mentor et d’élève était un peu plus fort. Aujourd’hui, c’est comme quand [Sydney] Crosby fait une passe à [Evgueni] Malkin. D’égal à égal. »

« On a abordé [la création de] l’album comme ça : d’égal à égal. Même si parfois il poussait un couplet et qu’en l’écoutant, je me disais : “Tabarnak, va falloir que je me surpasse.” La chanson Génies en herbe, quand j’ai reçu son couplet, j’ai “scrapé” le mien pour en réécrire un nouveau ! C’est aussi ce que ça fait, de travailler en duo : en travaillan­t tout seul, je n’ai que moi-même à motiver ; avec quelqu’un, il y a une sorte de compétitio­n qui s’installe. » Une saine et fertile compétitio­n, insiste FouKi, non pas pour éclipser l’autre, mais pour le forcer à se surpasser. « C’est le Québec au complet qu’on éclipse ! » lance le rappeur en ricanant.

Ce serait d’ailleurs le thème principal de Génies en herbe : la bravade, servie par deux MC baveux et totalement confiants en leurs moyens. La bravade, ainsi qu’une certaine désinvoltu­re, dans le texte comme dans les musiques — toutes accrocheus­es, signées RealMind, QuietMike, Jay Century, June Nawakii, Pops et Rousseau, sous la direction musicale du réalisateu­r-compositeu­r Ruffsound.

Pop assumée

C’est ce qui frappe le plus en découvrant les 14 chansons de cet album en duo presque tout écrit et enregistré en janvier dernier, juste avant que ne frappe la pandémie : c’est de la pop. Il y a bien quelques raps plus rugueux, comme Marée haute, relève tout de même FouKi, mais le ton, l’atmosphère détendue, parfois abordée sur le ton de l’humour (Tout

c’qui faut, I.T.P.P.N.A., Bénis), les rythmes invitants et les mélodies pop (la ballade Dernier drink, sur une production signée Ruffsound et June Nawakii, Montréalai­s ayant collaboré aux albums de Nicki Minaj et d’Eli Rose), en font un disque qui s’apprivoise tout seul.

Nous sommes même forcés de constater que ces grooves coulants collent plus naturellem­ent à l’univers rap de FouKi, impression rehaussée par la présence de trois forts titres

(Bravo, Figure Out et I.T.P.P.N.A.) influencés par le dancehall et le reggae dont FouKi est féru. L’aîné s’est-il fait prendre au jeu de FouKi ? « Oui et non…, tente de nuancer Koriass. C’est vrai que je n’avais jamais vraiment essayé de rapper sur des rythmes plus dancehall ou reggaeton, et que travailler avec FouKi me permet d’explorer ça […] Même si c’est pop dans la sonorité, j’ai quand même approché mon écriture pour proposer encore des gros couplets techniques, de sorte que ceux qui aiment le rap vont se reconnaîtr­e là-dedans. Je pense que c’est un bon mélange de rap et de chansons plus pop. »

« Même que sur Figure Out, ajoute FouKi, c’est Manu qui a pris le lead : lorsqu’on a entendu la rythmique, il a tout de suite sauté dessus. Et à l’inverse, moi, il y a des rythmiques très rudes, comme celles de Fait chier ou d’Herbogénis­tes sur lesquelles je n’aurais jamais rappé en solo. C’est plus du Koriass. »

« D’ailleurs, tu sais ce que ça veut

dire, herbogénis­te ? » Koriass nous éclaire : c’est le nom donné aux joueurs de Génies en herbe. Les brillants comme les plus tarés, ceux de l’équipe du Centre de réhabilita­tion Saint-Jean-de-Bosco, rendus célèbres dans les sketchs de Rock et Belles Oreilles.

« Pendant notre session d’enregistre­ment au chalet, raconte Koriass, l’idée de Génies en herbe m’est venue en écrivant un couplet pour Marée

haute. J’ai alors montré à Léo [FouKi] les sketchs de RBO », avec lesquels il avait grandi. « Je ne connaissai­s pas ça, raconte FouKi. J’ai capoté ! Je pense que j’ai écouté le sketch huit fois de suite ! J’étais tellement en amour avec la vidéo que j’en ai coupé plein de petits bouts pour les disperser sur l’album… »

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 ?? PHOTOS RENAUD PHILIPPE LE DEVOIR ?? Ces deux-là, FouKi sur la photo de gauche et Koriass à droite, étaient faits pour s’entendre comme les contraires qui s’attirent. Le technicien de la rime et le fabulateur du vocabulair­e. Le taciturne intense et l’enfumé jovial. Le vétéran et la recrue, à nouveau réunis le temps d’une entrevue, l’un de Limoilou, l’autre du Plateau.
PHOTOS RENAUD PHILIPPE LE DEVOIR Ces deux-là, FouKi sur la photo de gauche et Koriass à droite, étaient faits pour s’entendre comme les contraires qui s’attirent. Le technicien de la rime et le fabulateur du vocabulair­e. Le taciturne intense et l’enfumé jovial. Le vétéran et la recrue, à nouveau réunis le temps d’une entrevue, l’un de Limoilou, l’autre du Plateau.
 ??  ?? Génies en herbe FouKi et Koriass, Disques 7e Ciel, en vente dès maintenant
Génies en herbe FouKi et Koriass, Disques 7e Ciel, en vente dès maintenant

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