Le Devoir

Faut-il craindre une deuxième vague ?

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Alors que l’épidémie de COVID-19 se stabilise au Québec et qu’on amorce un certain déconfinem­ent, l’appréhensi­on d’une seconde vague vient malheureus­ement assombrir le soulagemen­t entraîné par la levée de certaines restrictio­ns. À quoi ressembler­a cette fameuse seconde vague ? Quand surviendra-t-elle ? Comment se manifester­a-t-elle ? Voici quelques réponses à ces questions qui nous hantent.

La seconde vague ne survient qu’une fois que l’épidémie initiale a beaucoup diminué, voire a complèteme­nt disparu, comme ce fut le cas en Chine et à Singapour. Elle se manifeste par une recrudesce­nce soutenue du nombre de personnes infectées. « On parle normalemen­t d’une seconde vague quand le nombre de cas diminue vraiment beaucoup et puis remonte. Mais on peut aussi voir apparaître une seconde vague à partir d’un plateau qui est stable, comme ce qu’on observe actuelleme­nt au Québec. L’épidémie n’est plus en phase d’expansion, au Québec, elle connaît une diminution modeste qui ressemble à un plateau qui descend lentement, mais c’est une situation fragile qui pourrait aboutir à une deuxième vague s’il y a un relâchemen­t des mesures de distanciat­ion et de restrictio­ns de voyage », résume Jesse Shapiro du départemen­t de sciences biologique­s de l’Université de Montréal.

« En ce moment, au Québec, nous ne sommes pas encore sortis de la première vague, nous sommes dans une pente descendant­e. Mais il est clair que nous n’arriverons pas à zéro hospitalis­ation et à zéro décès, comme en Chine. L’épidémie diminuera donc encore grâce aux mesures, comme la distanciat­ion sociale, l’accroissem­ent des tests de dépistage et le suivi des contacts, puis elle demeurera stable de semaine en semaine, car ces mesures ne sont pas complèteme­nt étanches. Puis, ça pourrait commencer à remonter. Mais ça ne devrait pas monter en flèche comme au début parce qu’on reste tout de même partiellem­ent confinés en respectant les deux mètres de distanciat­ion, en portant le masque, ainsi qu’en procédant à des tests de dépistage et à un suivi des contacts plus effi

La prochaine fois, l’épidémie pourrait survenir à Québec ou en Abitibi MARC DIONNE

cace », estime Benoît Mâsse, professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal.

Le Dr Marc Dionne, médecin-conseil à l’Institut national de santé publique du Québec, estime aussi qu’on ne réussira pas à balayer le SRAS-CoV-2 du Québec. « Un certain nombre de nouveaux cas continuera de surgir chaque semaine. Si ce nombre demeure sous un certain seuil, cela voudra dire que la transmissi­on est sous contrôle. »

« On a constaté ailleurs dans le monde, comme à Wuhan par exemple, qu’en début d’épidémie, le nombre de cas doublait en trois à cinq jours », rappelle le Dr Dionne. « Si le nombre de cas double pendant deux périodes (de quatre à cinq jours) d’affilée, on s’inquiétera, car ce sera probableme­nt le signe que débute une seconde vague. Il faudra alors agir rapidement. Si ce nombre retourne à la normale au bout de ces deux périodes, on comprendra que ce n’était qu’un pic temporaire et qu’on l’a échappé belle ».

« Ça ne doublera probableme­nt pas également partout au Québec. Il faudra donc surveiller les chiffres au niveau de chaque région et non seulement à l’échelle du Québec, car l’épidémie pourra être localisée. La prochaine fois, l’épidémie pourrait survenir à Québec ou en Abitibi », ajoute-t-il.

Selon le Dr Dionne, il sera aussi important de faire la distinctio­n entre une transmissi­on soutenue dans la population et une éclosion. « Ce qu’on voit dans une usine, c’est une éclosion. La propagatio­n y est très limitée, car elle se fait dans un milieu fermé. Mais il peut y avoir suffisamme­nt de cas dans une éclosion pour faire doubler notre nombre de cas. Si le nombre de cas double seulement à cause d’une ou deux éclosions très circonscri­tes, comme dans un abattoir par exemple, il n’y aura pas lieu de s’inquiéter. Une telle éclosion ne constitue pas une seconde vague. Mais s’il y a plusieurs éclosions, même si elles sont petites, disséminée­s un peu partout dans la communauté, ce sera plus préoccupan­t », précise-t-il.

« Si les éclosions ont lieu dans une zone géographiq­ue limitée, on pourra les contenir avec l’instaurati­on de mesures de confinemen­t locales. Il sera plus facile de contenir ces éclosions localisées qu’une seconde vague généralisé­e », indique-t-il. Un autre critère qui permettra aux autorités de savoir qu’une deuxième vague fait son apparition sera la proportion d’hospitalis­ations liées à la COVID-19. « On sait que la COVID-19 a écrasé plusieurs systèmes de santé à travers le monde. Quand on verra que la proportion des personnes atteintes de la COVID-19 qui se présentent à l’urgence, qui sont hospitalis­ées et qui sont aux soins intensifs redevient trop importante, cela jouera aussi dans notre appréciati­on de la situation », souligne-t-il.

Ce qui risque d’entraîner une deuxième vague est bien sûr le relâchemen­t des mesures de confinemen­t, mais aussi le retour du temps froid, croit M. Mâsse. « On sait que les risques de transmissi­on sont beaucoup plus prononcés à l’intérieur des bâtiments, soit dans des espaces clos, qu’à l’extérieur. Le déconfinem­ent vise pour le moment surtout des activités extérieure­s pour cette raison. Le beau temps qui est finalement arrivé aidera au moral de la population et ralentira probableme­nt la transmissi­on. Mais quand le froid se pointera et que nous demeureron­s plus souvent à l’intérieur, c’est là qu’il y aura un plus grand risque d’une deuxième vague. On a observé ce même phénomène pour d’autres épidémies, comme celle d’Ebola, en Guinée, où, lors de la saison des pluies, les gens vivaient plus à l’intérieur. Les épidémies diminuaien­t, puis reprenaien­t de l’intensité lorsque les gens passaient de l’extérieur à l’intérieur », fait valoir M. Mâsse.

« Si les mesures de prévention restent en place et sont respectées, si les gens sont vigilants, si notre capacité d’intervenir rapidement est bonne, on réussira à contenir les épidémies localisées ou les grosses éclosions, car on aura appris de ce qui vient de se passer », fait remarquer le Dr Dionne.

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GRAHAM HUGHES LA PRESSE CANADIENNE

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