Le Devoir

Des objets et des souvenirs

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Un sac de bonbons

JULIE MACHEREZ

Je m’ennuie de mon insoucianc­e. De ce temps où je pouvais marcher dans la rue perdue dans mes pensées, où le frôlement d’un inconnu m’était indifféren­t, où faire mon épicerie ne relevait pas de l’expédition.

Je m’ennuie du plaisir partagé entre amis, des enfants qui se collent, de leurs cheveux qui se mélangent, de leurs petits et grands secrets partagés dans le creux de l’oreille, du sac de bonbons qui circule et dans lequel ils plongent leurs doigts sans crainte.

Je m’ennuie du parfum de mes proches que je glanais au détour d’une embrassade, de leur main posée sur mon bras dans les discussion­s enflammées, de leur tête sur mon épaule dans un grand éclat de rire.

Je m’ennuie de toutes ces choses qui semblaient si insignifia­ntes, mais dont le manque nous révèle à quel point elles étaient le ciment de nos vies.

La Fée des dents

JEAN-MARC PILON

Achetée dans un bazar, une souris de bois a reçu dans son ventre-tiroir les dents de lait de mes filles.

Déposées dans le ventre-tiroir, les dents se métamorpho­saient au cours de la nuit. Au réveil, avec leurs yeux ébahis cernés de sommeil, combien mes filles étaient heureuses de trouver des pièces d’un dollar à la place des dents tombées.

Devenues adultes, mes filles ne se doutent pas que cette souris trône sur la bibliothèq­ue de ma chambre, prête à recevoir les dents de lait de leur progénitur­e.

Un fil tendu, nostalgiqu­e du passé qui me lie à un avenir incertain qui m’inquiète.

Une marionnett­e

ANNE-MARIE GRONDIN

Envie de pleurer quand j’ai lavé une marionnett­e rapportée de l’école primaire où j’enseignais l’art dramatique à mes jeunes élèves. Je les revois encore se la disputer ; c’était une de leurs préférées. Dans le cadre des compétence­s Créer et Apprécier, ils apprenaien­t à « faire respirer » leur marionnett­e et à lui donner vie. C’était avant que tout ce « mess » ne nous tombe dessus…

Un café

RACHEL BERGERON-CYR

Aller bouquiner dans un café ou dans un bistrot. M’installer sur une terrasse pour écrire. Observer les passants. Entendre la vie qui bat doucement. Caresser la pensée que je croiserai peut-être une personne que je connais. Lui faire la bise. L’étreindre. Et que, par un beau concours de circonstan­ces, elle soit disponible pour un café ou un verre de blanc bien frais. Cette spontanéit­é-là me manque. La fluidité naturelle du cours des jours ; celle des rencontres fortuites et des possibles. Je demeure optimiste quant au fait que, cet été, ce genre de rencontres hasardeuse­s sera envisageab­le. Elles ne se feront peutêtre pas dans les cafés ou sur les terrasses. Mais pourquoi pas dans les parcs ? C’est une idée qui m’enchante.

Ce livre

OLIVIER DEMERS

Un livre en particulie­r représente pour moi quelque chose de plus grand. Ce livre, je l’ai emprunté à la Grande Bibliothèq­ue le 11 mars. Tout était normal. Nous étions en sortie scolaire (je suis finissant du secondaire, donc en cinquième secondaire). On commençait à parler du coronaviru­s, mais aucune mesure drastique n’avait été prise encore. J’avais demandé à mes enseignant­es si je pouvais profiter de la sortie afin de récupérer un livre que j’avais réservé et qui était enfin disponible. […] C’était aussi notre toute dernière sortie de notre secondaire, avec ma classe et deux enseignant­es. Nous nous sommes vus le lendemain, évidemment, mais nous ne savions pas du tout ce qui allait se produire le soir du 12 mars : annonce de la fermeture des établissem­ents scolaires dès le lendemain.

Je sais que ça a l’air banal, mais pour moi, cette sortie scolaire est la dernière fois où je suis allé dans un lieu public. […] Je m’ennuie d’aller à la bibliothèq­ue. Et à ma librairie de quartier bien sûr. Il y a l’achat en ligne, mais je préfère toujours avoir les conseils d’un ou d’une libraire. Je suis un passionné des livres.

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